Vox Pop – L’euro s’effondre, ça vous plaît ?

Ça fait des années que tout va mal et environ trois ans que la génération née entre 1984 et 1989 s’est résignée à vivre en collocation pour toujours. Depuis que la Grèce a décidé de couler l’équivalent de 25 nations en même temps, un nouveau problème d’ordre économique s’est superposé à tous les autres :  l’effondrement de l’euro. Depuis plusieurs semaines, la « catastrophe » nous est présentée comme inévitable, et des gens plus sérieux que Marine Le Pen commencent à y réfléchir pour de bon. 

Mercredi soir, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont semble-t-il réussi à sauver de justesse 18 années d’effort européen et 150 d’économie mondiale. Des pays avec des climats déconneurs nous ont avancé du blé, et on devra les rembourser en se soumettant à un plan de rigueur qui entraînera un nouveau recul de notre pouvoir d’achat, et une multiplication par sept du prix des sodas.

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Pour fêter notre troisième année de récession économique, on est allés demander à des gens ce qu’ils penseraient d’un effondrement de la monnaie unique et d’un retour forcé vers le franc.

VICE : Est-ce que tu penses que l’euro va s’effondrer ?

Antoine :Non. Je pense que même si l’Europe s’effondre, l’euro va rester. Je ne peux pas imaginer un retour au franc, même s’il y avait une fermeture des frontières. Pour beaucoup de gens, ce serait comme régresser. Ce serait avouer que l’euro est un échec. Je pense que les politiciens auraient du mal à accepter ça.

Toi ça te plairait de revenir au franc ?

Ouais. Rien que pour le pouvoir d’achat. On a perdu énormément à cause de ça. On est passés d’1,5Fr à 1,5€. On dit toujours que les salaires ont été augmentés en conséquence, c’est pas forcément vrai. Et puis c’est une réalité, le pouvoir d’achat a baissé depuis l’euro. Regarde le paquet de cigarettes, on est passés de 10fr à bientôt 10€. Tout est comme ça après.

T’es content d’avoir la même monnaie que d’autres pays ?

C’est pratique. Je ne ressens pas le côté « communauté » tu vois, mais c’est bien de pas avoir à changer la monnaie. À la base, ce qu’ils avaient essayé de faire avec l’euro c’était créer cet espèce de grand pays ; mais moi j’ai pas l’impression de faire partie de l’Europe.

Avec quels pays aimerais-tu partager une monnaie ?

Je sais qu’ils ne voudront jamais parce qu’ils ne sont pas passés à l’euro, mais avec l’Angleterre. C’est le pays où je vais le plus. Ce serait avantageux. Et en même temps je trouve ça cool qu’ils aient gardé leurs valeurs.

Ça va te manquer l’Europe ?

Pas particulièrement, non. Je n’ai pas vraiment l’impression qu’en France on ait la capacité de s’adapter aux autres, de se mélanger plus que ça.

Cuisinier à la retraire, Michel attend que sa femme arrête de bosser pour partir vivre au Brésil.

VICE : Dans le cas où l’euro s’effondrerait, vous seriez content de revenir au franc ?

Michel : Bonne question. À un moment donné j’aurais bien voulu, dans les premières années de l’euro, mais maintenant je suis habitué, alors non. Mais c’est vrai qu’avec l’euro, on s’est bien fait enfumer.

Comment ça ?

Monoprix, ils ont abusé. Maintenant ils augmentent encore plus les prix, ils diminuent les doses. En Suède, ils ont supprimé les petites pièces jaunes, ils se sont encore plus fait enfumer. Alors s’ils font pareil ici…

Vous êtes content de simultanément vous faire enfumer et de pouvoir payer avec la même monnaie dans d’autres pays ?

Oui, c’est vrai que c’est pratique. On n’a plus de change à faire, on n’a plus besoin de calculettes. Avant quand on allait en Italie, on se faisait rouler, vous voyez ce que je veux dire. On se faisait toujours avoir avec les Italiens. Pour ça, c’est bien.

Si vous deviez choisir un pays avec lequel partager une monnaie, vous opteriez pour qui ?

Oh je ne sais pas, pareil. Pourquoi pas ceux qui n’ont pas adopté l’euro, tiens ? Ils sont plus forts que nous maintenant. La livre, elle, est vachement plus forte que nous. Comme quoi, ils se débrouillent très bien sans. Regardez les Belges, ils n’ont pas de gouvernement, et ils vivent quand même.

Si demain les frontières se dressent à nouveau et qu’il n’y a plus d’Europe, ça vous manquera ?

Non, j’irai au Brésil.

Plus tard on a rencontré Martin, un touriste belge. 

VICE : Vous pensez que l’euro va s’effondrer ?

Martin : Non. C’est comme une banque où il y aurait trop d’intérêts, on ne peut pas la laisser couler. Il n’y a que l’Allemagne qui a de l’argent, mais elle ne veut pas payer pour les gens qui lui ont menti. Ils n’aiment pas qu’on se foute d’eux.

C’est assez normal, en même temps.

Mais l’euro ne va pas chuter, l’Allemagne s’est enrichie grâce à l’euro. Les Allemands ne peuvent pas continuer à avoir des crédits effroyables pour l’armée, puisqu’ils veulent impressionner les Turcs. L’euro finalement c’est le mark, et ils n’ont pas l’esprit solidaire.

Vous n’aimeriez pas revenir eu franc, donc.

On y perdrait tous. Tous les pays vendent, il n’y a pas que les Allemands. Ce qui est particulier c’est que, pour le moment, il n’y a qu’eux qui y gagnent. Actuellement les Allemands font fonctionner la banque européenne à leur façon. Les traités n’ont plus aucun sens puisqu’ils ne sont pas respectés.

Avec quels pays vous aimeriez encore partager une monnaie, si vous pouviez choisir ?

Avec tous ! On n’a pas d’autre alternative que l’Europe. Aucun pays ne peut se débrouiller seul, même l’Allemagne. La Chine veut acheter l’Europe, elle est prête à payer, elle a acheté le port du Pirée.

Crapules.

On est en mesure de se faire complètement coloniser par les Chinois, c’est assez rigolo.

Ce monsieur n’a ni voulu nous donner son prénom, ni sa profession. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il fait des « affaires » avec la Turquie.

VICE : Vous pensez que l’euro va s’effondrer ?

Ce monsieur : Absolument. Dès le départ, les critères retenus pour passer à l’euro n’étaient pas des critères économiques mais des considérations ethniques, religieuses. C’était inévitable. Je pense que le 31 décembre 2012, il n’y aura plus d’euro. C’est la date butoir.

Qu’est-ce qui va se passer alors ? Un retour au Franc, une nouvelle monnaie ?

Certainement le retour au Franc. Ou bien il y aura un cercle très restreint de pays où l’euro continuera à se prévaloir, comme le Benelux, l’Allemagne, la France peut être. Les Grecs, les Portugais, les Espagnols ou les Irlandais seront renvoyés à leur monnaie d’origine.

Et, ça vous ferait plaisir de revenir à la monnaie nationale ?

Ça ne changerait absolument rien. Les gens du peuple vont rester ce qu’ils sont. Je ne pense pas que ça puisse avoir une conséquence importante.

Vous pensez que les prix pourraient baisser ?

Non, jamais de la vie. On a tout multiplié, tout a été éclaboussé. Ça va être compliqué. Ce n’est pas pour autant que la crise du capitalisme va se résoudre. À chaque fois qu’il y a eu une crise similaire, il y a eu une guerre. Aujourd’hui il n’y a plus de possibilité de faire une guerre à l’échelle internationale, donc on va provoquer plein de petites guerres, c’est le seul remède.

Vous êtes content d’avoir la même monnaie que d’autres pays ?

Je ne dirai pas quel métier j’exerce, mais ça m’a arrangé. J’ai multiplié par trois le montant de mes revenus. Mais tous les gens du peuple, je me demande comment il y arrivent. Lorsque t’annonces une somme en euro, comme 3 000 euros, ça passe, lorsque t’annonces 20 000 francs, ça passe pas. Cet effet psychologique était d’ailleurs recherché avec l’euro.

Si demain, l’Europe s’effondre…

Tant mieux !

Ça ne va pas vous manquer ?

Non, je serais très heureux parce que c’est très artificiel. L’Europe… c’est quoi l’Europe ? Comme le disait un homme politique turc : « c’est le club des chrétiens. »  Ils sont en train de trahir leurs propres valeurs. Ils vont se casser la gueule.

Marc, consultant – on n’a pas réussi à savoir en quoi.

VICE :Est-ce que vous pensez que l’euro va s’effondrer ?

Marc :Je pense que l’Europe va s’adapter, se transformer, mais je ne pense pas qu’on puisse faire machine arrière maintenant. On trouvera des solutions, douloureuses ou pas, mais il en faudra.

Le retour du franc ?

Non.

Vous n’y croyiez pas, ou vous n’avez pas envie d’y croire ?

Je n’y crois pas, et vu le contexte dans lequel on est, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Si ce qu’on essaie de faire c’est de contrecarrer l’appauvrissement général des vieilles économies, on va dire, le retour au franc c’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire.

Vous êtes contents de partager une monnaie avec d’autres pays ?

Je pense que pour nos générations, les nouvelles générations, c’est déjà entré dans les mœurs et ce n’est plus un sujet d’identité culturelle.

Ça va vous manquer, l’Europe ?

Ben, je pense que je serai un petit peu inquiet pour l’avenir économique des gens qui s’y trouvent, oui. On survit à tout… En dehors de l’Europe, la France redevient un tout petit pays, par rapport à ces grands ensembles qui se forment, par rapport à ces grandes zones économiques qui se structurent. Il faudra qu’on se spécialise et qu’on devienne un pays riche, touristique.

C’est tout naze, être un pays touristique.

C’est vrai.

Chan-cel, buraliste.

VICE : Est-ce que vous pensez que l’euro va s’effondrer ?

Chan-cel : Oui, et facilement. Ça ne va pas tarder.

Un retour au franc, vous en seriez content ?

Ce n’est pas possible. On trouvera un autre système. Le franc ne peut pas revenir comme ça, c’est comme un pépé. Un pépé qui décède à 90 ans ne peut pas revenir plus tard, il sera toujours un pépé. Il aura une autre naissance, sera un fantôme, mais il ne peut pas revenir en tant que pépé.

Si l’euro s’effondre, mais qu’il n’y a pas de retour au franc, vous pensez qu’il y aura une nouvelle monnaie ?

Oui. Une monnaie internationale. Maintenant c’est les multinationales. Pour sauver tout ce système-là, la seule solution c’est d’établir un système international pour tout reconstruire. Il faut une monnaie qui soit adoptée par tous les pays du monde, obligatoirement.

Vous aimeriez qu’il y ait la même monnaie partout dans le monde ?

C’est la nature. Tu ne peux pas contrer la nature. Je ne sais pas si vous avez étudié l’Histoire humaine, mais jamais une dynastie économique n’a dépassé 200 ans.

Donc là on est à la fin de quelque chose ?

On est à la fin d’un système économique. L’économie c’est l’économie, la vie c’est la vie, l’humain c’est l’humain. Vous n’avez pas essayé plein de trucs. Moi j’ai essayé plein de trucs, c’est pour ça que je dis que c’est fini. C’est la mort.

Huh.

Regardez, l’assurance vie : tout le monde paie pour accumuler un chiffre, mais qui va pousser les chiffres ? Comment pousser les chiffres ? Un jour 100 ça devient 110, 110 ça devient 130, 150… Personne ne peut supporter des chiffres comme ça.

Et l’Europe,  elle va s’effondrer?

C’est une nouvelle époque. C’est ça qui est intéressant dans la vie, la nouveauté, inventer. Quand j’étais petit, il n’y avait pas la télévision en couleurs. Sinon tu sais que demain tu vas gagner 1 euro, toute la vie tu vas gagner 100 euros, tu sais quoi, ça c’est pourri.

Mmh, OK.

INTERVIEW : JULIE JALABERT & MARTIN COURTOIS

PHOTOS : JULIE JALABERT