Ça y est, Rhapsode, le premier album de Forever Pavot est enfin sorti sur Born Bad Records. De loin, le son de ce quintet mené par Emile Sornin (la frimousse sur la pochette, c’est lui) peut ressembler à un empilement de références, qui ne manqueront jamais d’être mentionnées ; en gros, imaginez un film au croisement de Barbarella, Pour une poignée de dollars, Suspiria et Calmos, et faites composer la B.O. par Robert Wyatt : vous y êtes à peu près. Si John Carpenter avait fait de la musique de chambre pour Sergio Leone, ou Goblin écrit des hymnes à la rachacha avec le matos de « Melody Nelson », on n’en serait pas loin non plus. Bref, c’est beau, tripant, et ça méritait un entretien avec la tête pensante du projet, directement issue des réseaux occultes de La Rochelle, ville dont je suis également originaire. Un complot ? Parfaitement madame.
Noisey : Qui fait quoi dans le groupe ?
Emile Sornin : En live, il y a Cédric à la batterie, Benoit à la basse, Arnaud à la guitare et aux percus, Antoine à la guitare lead, et moi aux claviers et au chant. Certains font les choeurs de temps en temps. Les musiciens avec qui je joue sont des copains, mais ça tourne un peu, l’idée c’est que j’ai surtout envie de jouer avec des amis. Là, mon pote de La Rochelle, Livio, remplacera Antoine sur la tournée en Angleterre… C’est toujours un peu compliqué, mais avec le temps je me rends compte que j’ai plein de copains avec qui j’ai envie de bosser, et j’ai bien envie de les faire tourner.
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Qui était dans Arun Tazieff, ton groupe précédent ?
Benoît, Cédric et moi. Mais là je ne composais pas tout, c’était un truc collectif.
Benoît était aussi le chanteur de Sheraff.
C’est ça, avec Marc d’Arun Tazieff à la basse. Cédric avait aussi plusieurs projets, dont un truc avec Arnaud qui s’appelait Good Morning City, un groupe de grindcore. Mais ce qui est marrant, c’est qu’à part Antoine qui vient d’arriver, j’ai rencontré tous les autres gars en réalisant des vidéos pour eux. Sheraf, je leur ai fait un clip il y a cinq-six ans, et Good Morning City je les ai aussi rencontrés comme ça : je les ai contactés, j’aimais bien ce qu’ils faisaient comme musique, je leur ai proposé un clip.
Ah tu ne les connaissais pas ? Ils ne sont pas rochelais, eux aussi ?
Non non, pas du tout, ils viennent de banlieue parisienne. Antoine est le seul de La Rochelle. Lui, ça faisait un moment qu’il venait à la maison faire un peu de musique, je savais qu’il était très branché musique de films, avec une bonne culture sixties, et un bon jeu de gratte… Je ne sais plus si c’est moi qui lui ait proposé, mais ça s’est fait et je suis content.
Antoine était le bassiste d’Asyl.
Voilà, et il continue de faire la basse pour Lescop. La mafia rochelaise, quoi… Plus précisément, de Nieul-Sur-Mer ! [Rires]
D’ailleurs tu as écrit un titre là-dessus, « Les Naufragés de Nieul-Sur-Mer »…
C’est le village dont je suis originaire, à vingt minutes de La Rochelle : le bled dans lequel j’ai appris la musique, grandi jusqu’à mes dix-neuf ans, jusqu’à ce que je vienne faire mes études à Paris. « Les naufragés », c’est parce que c’est à côté de la mer, et ça me faisait marrer d’imaginer des espèces de fantômes qui hantent les gens… Bon, généralement je trouve les noms des chansons après les avoir composées.
T’as l’air du genre de type qui écrit la musique avant les textes…
Oui, les textes et le chant, c’est tout le temps des trucs que je fais après, voire bien après… Je peux composer les morceaux et attendre un an avant de poser un chant. C’est un truc que j’aime de plus en plus faire, mais avant je n’aimais pas trop, j’utilisais plus ma voix comme un instrument. Sur l’album, j’ai écrit ma première chanson en français, « Les Cigognes Nénuphars », c’est un truc qui m’a plu comme exercice. Je ne sais pas si je le referai, mais c’était intéressant. Donc oui, d’habitude c’est bien après, en fonction de ce que la musique m’évoque.
C’est pour ça qu’on ne comprend pas trop les paroles ?
[Rires] Oui, la voix est noyée dans les effets.. Mais il faut dire qu’il y a des chansons que j’ai enregistrées il y a deux ans, et je pense que j’assumais moins ma voix. En revanche, il y a des trucs plus récents, comme « Joe And Rose », où la voix est moins noyée, avec un timbre féminin par-dessus – celui de Catherine Hershey. C’est aussi cette dernière qui a fait les pochettes des EP’s et de l’album. C’est une super chanteuse, une artiste vraiment très intéressante. Quant à moi, mon anglais a progressé depuis deux ans, et je suis persuadé qu’un truc comme « Miguel El Salam », le deuxième EP, est bourré de fautes… Je l’ai enregistré il y a deux étés, avec une dizaine de morceaux… Je l’ai sorti en 45 tours parce que je n’étais pas encore très content de la tracklist, mais c’est la même version qu’on retrouve sur l’album. En fait, il y a pas mal de vieux matériel, même si j’ai aussi réenregistré des trucs. La plupart du temps, je fais ça en partie chez mes copains d’Aquaserge, dans leur studio à Toulouse, en partie chez moi. Après, je ne peux pas enregistrer la batterie chez moi, ni rien de ce qui est très fort ou sur ampli.
Les voisins ne font pas chier ?
Nan, ils ne m’emmerdent pas. Je suis un mec qui bosse la journée, pas en pleine nuit avec le son à blinde.
Le studio à Toulouse dont tu parles, c’est Electric Mami, qui est aussi le nom du premier morceau de l’album…
Oui, même si c’était très mal articulé [Rires]. C’est la maison dans laquelle Aquaserge a enregistré son album, et dans laquelle plein de gens passent.
Tes liens avec Aquaserge, c’est quoi exactement ?
Je les ai rencontrés il y a trois-quatre ans, quand ils servaient de backing band à April March. Ils jouaient aux Trois Baudets, où ma copine travaillait, et j’ai passé des 45 tours après leur concert. J’avais pas mal de trucs sixties, du yéyé, Gainsbourg, etc., alors ils sont venus me voir et on est devenu potes. Mais surtout, je suis allé les voir jouer à la Gare aux Gorilles, et j’ai pris une énorme claque : d’un coup, c’était ça que je voulais faire ! J’ai voulu les rencontrer un peu plus, alors j’ai organisé une date à Paris avec Arun Tazieff. J’aimais beaucoup le son de leur album, ça me paraissait assez logique d’aller enregistrer là-bas avec Arun pour l’album. Ensuite, moi j’ai joué de la batterie dans Hyperclean, dans lequel Benjamin d’Aquaserge faisait de la basse. J’ai habité chez eux pendant six mois, c’est dans cette maison que j’ai enregistré toute la première partie de l’album il y a deux ans, puis j’ai fait des aller-retours entre là-bas et Paris. Je bossais encore ici, j’y allais deux semaine par mois.
Tu as fait un clip pour eux aussi ?
J’ai fait une petite vidéo, pas vraiment un clip… Au studio Condorcet à Toulouse, avec une caméra zénithale qui tourne au dessus d’eux, et la tête de Julien Gasc qui apparaît au milieu. Le son est live, et d’ailleurs je joue dans cette vidéo, je fais des espèces de percussions… On voit mon début de calvitie [Rires].
Tu joues pas mal avec Julien Gasc ou Dorian Pimpernel, qui ont aussi été sortis par Born Bad… Sacré virage d’ailleurs, pour le label.
En fait, cela ne m’a pas étonné que J.B. [Jean-Baptiste Guillot, qui dirige Born Bad] sorte Dorian Pimpernel, c’est vraiment de la musique de collectionneur de disques, une musique savante, assez pop… Mais sortir Julien Gasc, ça c’est génial. Beaucoup de gens ont trouvé ça surprenant, mais c’est un coup de génie – de même que sortir Cobra juste après.
Bon, Cobra c’était juste un 45 tours pour le Disquaire Day…
Je crois qu’il a sorti Julien Gasc en même temps. Il y a eu un espèce de coffret avec Dorian, puis une ressortie CD. En tous cas c’est chouette qu’un label français s’intéresse à des personnages comme ça. Et nous, on est un peu dans la continuité, on tombe bien par rapport à ce que sort Born Bad en ce moment.
Si tu m’avais dit il y a dix ans que J.B. finirait par traîner dans des soirées « pop », tout en sortant des vieilles B.O., du free-jazz et Francis Bebey, j’aurais eu du mal à y croire…
Les B.O., ça fait un moment quand même. Et finalement, dans les les compils Wizzz il y avait du yéyé, mais aussi Brigitte Fontaine, ou des trucs français bien barrés… Et la continuité, c’était de sortir François de Roubaix, Jean-Pierre Mirouse, Dorian Pimpernel… Nous on arrive après, c’est assez chouette.
Comment ça s’est fait d’ailleurs ?
J.B. est assez fort, il est tombé sur le tout premier 45-tours que j’ai sorti à cinquante exemplaires avec ma copine, sur un micro-label monté pour l’occasion, La Ogue Records. Je l’avais filé à Damien Lapeyre, de La Rochelle, un vendeur de disques pour collectionneurs, assez pointu, qui l’a mis sur sa page eBay et en fait une bonne pub. JB est tombé dessus, et m’a contacté en me disant que ça lui faisait penser à François de Roubaix, et qu’il aimerait bien entendre d’autres trucs… J’avais énormément de choses, mais c’était mauvais [Rires]. Je lui ai tout filé quand même, bien qu’à l’époque, je ne savais pas trop ce que je voulais faire… Je faisais un peu de garage, de la musique de film, de la pop, c’était pas encore très défini, et J.B. m’a dit que pour l’instant il n’était pas très intéressé, mais qu’on restait en contact.
Le premier EP est ressorti sur Frantic City (un label de La Rochelle), et tu en as encore fait deux ensuite…
Voilà, un an après j’ai renvoyé des morceaux à J.B., qui m’a dit ce qu’il aimait et voulait garder. Il a organisé une soirée avec Julien Gasc, Dorian Pimpernel, et Forever Pavot au Point Ephémère, et on en a encore discuté. Nous, on avait des plans avec des labels anglais, mais J.B. s’est dit que c’était trop con, il trouvait ça bien… Alors, ça s’est fait. Je crois aussi que le live lui a plu, ce qui est très important. Et puis humainement aussi, c’était une chouette rencontre, et ça a beaucoup joué.
C’est Born Bad qui a choisi les morceaux ?
Oui et non. Au final j’avais une quinzaine de morceaux, il y avait des chansons sur lesquelles j’avais des doutes, qui n’allaient pas forcément très bien dans la tracklist. On s’est mis d’accord sur l’ordre. Mais j’avais déjà une idée assez claire de ce que je voulais.
Et cette pochette alors ?
Pour ma défense, elle est dans la continuité esthétique des EPs… Sur le EP « Miguel-el-Salam », on voit effectivement le portrait au crayon de couleur du fils de Catherine Hershey, Louis. Je lui ai demandé de faire un portrait de moi dans le même style, alors elle a fait ce visage, mais sur le moment j’ai trouvé que c’était chelou de mettre sa gueule en avant.. Le coup de coeur que j’avais eu, c’était le portrait du fils, alors je l’ai sorti comme ça. Ma tronche est revenue pour le LP, mais à la base ça devait être l’insert, tandis que la pochette représentait un truc dans la forêt avec des animaux, des claviers, des magnétos… Là encore, c’est J.B. qui a dit que c’était une meilleure idée de mettre ma tête sur la pochette, parce que c’était mon projet, et qu’à ce titre, autant y aller à fond. Après c’est toujours difficile de se voir, comme de s’entendre. Certains potes ont bien rigolé, d’autres ont dit c’était super… Bon, je commence à assumer. Evidemment je suis comme un con, parce que je ne peux pas me couper les cheveux.
Et le nom, ça vient d’où ?
C’est un truc que j’ai mal lu un jour, qui était écrit au Tippex sur un cartable : j’ai lu « Forever Pavot » à la place de « Flower Power »… Je trouvais ce nom marrant. Et il contient en plus un clin d’oeil aux Fleurs de Pavot, un groupe sixties dans lequel Jean-Claude Vannier a composé certaines chansons.
Ça ramène à la drogue, quand même, vu que t’as un titre qui s’appelle « La Rabla »…
Ah non mais, je consomme très peu de drogues…
Mais tu veux en jouer, de tout cet imaginaire de la défonce ?
Pas tellement, d’ailleurs le morceau parle plus de l’addiction en général, et de la relation de certains de mes amis proches avec des trucs un peu difficiles, dont l’héroïne… Ca parle du fait que ça t’enferme sur toi-même, que tu ne fais plus beaucoup de projets… La drogue, quoi.
Et « Green Nap » alors ?
Ah, pour le coup je suis un grand consommateur d’herbe… La « sieste verte », c’est celle que tu fais quand tu as fumé. Quand j’ai écouté ce morceau en lui cherchant un nom, je me suis imaginé une espèce de fumerie d’opium, un petit tripot complètement envapé, ça collait bien au délire de la sieste… Enfin, je n’en fais pas l’apologie, je ne suis pas un camé.
Ça fait aussi partie du folklore psyché, tout ça…
Oui il y a un côté psyché dans ce que je fais, même si je ne me considère pas comme un groupe psyché. Je suis influencé par cette époque là, c’est sûr, la fin des sixties, débuts seventies… Mais pas que. Il y a aussi beaucoup de trucs, bien avant et bien après, qui me parlent. D’ailleurs, c’est un mille-feuilles d’influences ce disque. Et il s’appelle Rhapsode, un nom qui, chez les Grecs, désignait celui qui récitait les œuvres des autres. C’est ça, outre que le mot lui-même me plaît énormément, je trouve que je joue une sorte de pot-pourri, avec des trucs très connotés, presque dans l’hommage (même si c’est relativement inconscient). Je me rends compte que des fois, je suis un peu dans l’exercice de style. On me le dit, on ne me le reproche pas encore ! Peut-être qu’on le fera. À vrai dire, je m’en fous. Complètement.
Forever Pavot jouera à la Maroquinerie (Paris) et au Stereolux (Nantes) les 21 et 26 novembre prochains.
Pierre Jouan pourrait donner sa vie pour sa ville. Il n’est pas sur Twitter.