Derrière les formations cultes The Microphones et Mount Eerie, Phil Elverum (né Philip Whitman Elvrum) est une discrète, voire solitaire icône DIY de la côte ouest. En 2003, il épousait l’illustratrice et musicienne québécoise Geneviève Castrée (qui, sur disque et sur scène, opérait sous les alias Woelv et Ô PAON). Un cancer pancréatique a été diagnostiqué il y a deux ans et elle s’est éteinte le 9 juillet 2016. De son deuil, Elverum a issu un album, A Crow Looked At Me, son huitième en tant que Mount Eerie. Déjouant l’abstraction de la mort, c’est un album qui la vit, la mort, qui détaille nûment comment elle s’enracine dans le quotidien. Des chansons qui, lorsqu’il les chante pour lui ou les écoute, font qu’il se sent avec Geneviève; des chansons enregistrées dans la pièce où elle est décédée, qu’il a décidé de publier, en marge de leur intimité, pour se souvenir de sa résonance à elle.
Il sera de passage à Pop Montréal le 17 septembre dans le cadre de la tournée de A Crow Looked At Me. VICE a discuté avec lui de l’insolubilité de la publication et de la promotion de chansons aussi intimes, de la caution du deuil et de sa relation avec Montréal.
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VICE : D’abord, merci d’accepter l’entrevue. Tu as parlé des émotions mixtes qui entouraient la création de A Crow Looked At Me , de la difficulté de transformer la mort de quelqu’un en art (ce que tu détailles dans la pièce Real Death ), comment perçois-tu le PR et la promotion qui entourent le disque?
Phil Elverum : J’essaie de ne pas trop y penser. C’est trop surréel. C’est vrai qu’il y a quelque chose de pervers quant à quelque campagne promotionnelle que ce soit à propos de ça. Ça me semble inapproprié. Mais en même temps, ça fait du bien d’être un être humain régulier qui ressent des affaires d’être humain régulier, ce qui inclut le deuil, les traumatismes, la transcendance, etc., et de montrer ces choses-là à quiconque, que ce soit à un ami proche ou à l’internet. Je suis juste en train de le vivre et de l’exprimer en essayant de ne pas trop m’en faire avec les échos qui reviennent.
Après Sauna, tu as établi des guidelines plus directes et dépouillées pour la suite : pas de reverb, rien en suspens, se dégager de l’engourdissement des métaphores. Tu y référais beaucoup en créant ACLAM , que tu as enregistré dans la pièce où Geneviève est décédée, avec certains de ses instruments. Crois-tu qu’un album sur le deuil, ce deuil, aurait été possible si ce n’avait pas été de ces lignes directrices?
Oui, bien sûr, tout est possible. Ç’aurait été un album différent, et peut-être un album que je n’aurais pas aimé autant, mais ç’aurait été correct. Ces lignes directrices étaient davantage des opinions esthétiques personnelles. Des points de vue artistiques.
Tu entames une tournée pour ACLAM, y a-t-il un effet purgatif pour toi dans ces concerts, ou un certain inconfort encore? Ou est-ce qu’un certain effet s’est estompé depuis la création des chansons? Et quel est l’effet sur le public?
Je me sens encore inconfortable et honteux lorsque je joue ces chansons devant des gens. Je ne peux pas me défaire de « l’immoralité » que ça représente. Je me sens honteux face à l’audience, même si je sais que les gens sont touchés et apprécient le concert d’une façon super intense. Et je me sens honteux pour la mémoire de Geneviève : j’ai l’impression que c’est une sorte de crime cosmique d’être aussi extrêmement public avec nos affaires intimes, et de recevoir de l’argent et des compliments pour ça. Mais je ne crois pas aux fantômes ni aux esprits, et je sais que je peux faire ce que je veux désormais, et c’est ce que je fais. La plupart du temps, ça me donne l’impression que c’est la bonne chose à faire.
Tu es un type plutôt solitaire, discret. Avec ACLAM , tu t’éloignes de ta propre définition : « possibly sociopathic, I personally don’t care that much about people and wish that everyone else was a little more focussed on the song, not the singer ». Est-ce que c’est parce que tu as l’impression qu’ici, plus qu’avant, la marge entre la chanson et le chanteur s’est estompée?
Je pense encore ça, prioriser la chanson plutôt que le chanteur, mais je réalise que mes dernières chansons n’y obéissent pas. Peut-être que c’est parce que je ne les perçois pas comme des chansons. Je considère ce que je fais présentement comme quelque chose qui est à part de la musique et de l’art. Je me promène en lisant mon journal intime à des foules : pas de l’art, pas du divertissement, juste de l’expression publique.
Geneviève a grandi aux environs de Montréal, dans une banlieue qu’elle tentait souvent de fuir, quelle est ta relation avec la ville?
Ma relation avec Montréal est à 100 % à travers Geneviève. Ça va être intense d’y revenir pour une première fois sans elle. J’ai vécu avec elle à Anacortes dans l’État de Washington pendant 13 ans, et c’était comme vivre avec une petite île du Québec d’une seule personne entourée d’anglophones qui ne connaissaient absolument rien de cet endroit. J’ai l’impression que ma maison était l’ambassade du Québec. Notre fille regarde encore Passe-Partout et une tonne d’autres obscurités québécoises. J’aime Montréal, mais j’imagine que ce sera plutôt douloureux d’y être et de me rappeler si profondément Geneviève.
Mount Eerie sera en concert à la Fédération ukrainienne le 17 septembre dans le cadre de la 16 e édition de Pop Montréal.
Benoit Poirier est sur Twitter .