Dans la soirée du lundi 22 décembre des heurts ont éclaté entre la police et des manifestants descendus dans les rues de Tamatave, la deuxième ville du pays située à l’est de Antananarivo, capitale de Madagascar, un État insulaire situé au large de l’Afrique dans l’océan indien. Bilan, 1 mort et 5 blessés dont un policier.
Ces manifestations sont le dernier épisode d’une crise de l’énergie qui touche Madagascar depuis 2009, et qui s’est intensifiée dans le contexte d’une récente crise politique.
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Plusieurs centaines de jeunes habitants ont envahis les rues et manifesté jusque tard dans la nuit contre les nombreux « délestages » — des coupures de courant — qui touchent l’île depuis plusieurs mois. Les pillages de magasins ont été nombreux. Selon diverses sources, les affrontements auraient repris ce mardi en milieu d’après-midi, heure locale.
La Jirama — la compagnie nationale d’électricité malgache — est la cible privilégiée de la colère des manifestants. Dans un pays où seulement 15% du territoire est électrifié, la situation a pris un tour particulièrement tendu le mois dernier : la population locale doit depuis se contenter de deux à quatre heures de courant par jour.
Toute l’économie de l’île en pâtit, malgré l’arrivée de nouveaux groupes électrogènes que les techniciens n’arrivent pas à mettre en marche, d’après le média local Tananews qui explique que les employés ne sont pas familiers d’un matériel dernier cri.
Pour apaiser les esprits, le ministre par intérim de l’Energie Herilanto Raveloharison a assuré ce mardi 23 décembre que les fêtes de Noël seront épargnées par les délestages. Une source proche du gouvernement malgache contactée par VICE News doute que ce type de promesse soit tenable en l’état. Les fêtes de fin d’année font exploser la demande en électricité — il est donc peu probable que l’offre d’électricité comble la demande. Cette même source estime alors qu’il faut s’attendre à de nouvelles manifestations sur les villes côtières dans les jours qui viennent.
Depuis son indépendance de la France en 1960, le pays a connu une succession de crises politiques. Mi-octobre 2014 la tension est montée d’un cran lorsque l’ancien président en exil Marc Ravalomanana est revenu sur ses terres pour contester la légitimité du Président Hery Rajaonarimampianina — élu démocratiquement avec 53,5% des voix en janvier 2014. Depuis ce retour, Ravalomanana est assigné à résidence dans la villa de l’Amirauté Antsiranana dans la ville de Diego Suarez au nord du pays. Le 19 décembre dernier une réunion de réconciliation entre les quatre anciens présidents et l’actuel chef d’Etat — censée apaiser les conflits — n’a permis aucune avancée majeure.
Le réseau électrique Madagascar est composé d’un maillage complexe de 114 centrales thermiques qui fonctionnent au gasoil. La Jirama — en grande difficulté financière — se retrouve depuis 2013 dans l’incapacité de payer ses fournisseurs en carburant. Pour palier ce déficit, l’Etat malgache était alors monté au créneau en offrant d’avantageuses réductions des tarifs douaniers aux pétroliers en échange de gasoil. Cette solution temporaire a connu un coup d’arrêt en juillet 2014 lorsque les taxes douanières sont remontées — créant de fait une suspension des livraisons et donc des délestages. Cet épisode avait dans le même temps couté son poste au ministre de l’Energie de l’époque, Richard Fienena le 22 octobre.
Le dossier a été repris depuis par le ministre de l’Economie Herilanto Raveloharison. L’objectif premier était de régler les déboires financiers de la Jirama. Les délestages ont pourtant continué de rythmer la vie des malgaches qui multiplient les manifestations et autres mouvements pour contester cette situation qui selon eux pénalise grandement l’économie du pays.
D’après la source gouvernementale interrogée par VICE News, l’industrie textile malgache souffre particulièrement de ces faiblesses énergétique, qui oblige les petites entreprises à investir dans des générateurs d’électricité. Les grandes multinationales qui exploitent les richesses minières du sous-sol de l’île — notamment le nickel — préfèrent construire leurs propres centrales pour subvenir à leurs besoins énergétiques, plutôt que d’en acheter à la Jirama.
En septembre 2014, le Président Rajaonarimampianina s’étonnait de l’augmentation de la consommation de gasoil de la compagnie qui ne se serait pas traduit par de meilleurs services. Dans le même temps le BIANCO (Bureau indépendant anti-corruption) entamait une enquête sur les responsables de la Jirama soupçonnés de profiter de la hausse des prix des carburants pour s’enrichir. Certaines sources avancent le chiffre de 3000 m3 de carburant détournés par mois. Ce 20 décembre, la Jirama a nommé un nouveau directeur général en la personne de Nestor Razafindroriake, ancien ministre de l’Énergie. Une source proche du dossier contactée par VICE News, et qui a souhaité garder l’anonymat, estime néanmoins que cette nomination est plus un geste pour calmer l’opinion qu’une réelle solution durable.
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