Aux alentours de 6 heures du matin, au début du mois de juillet; j’ai accueilli mon fixeur dans ma petite maison située dans la ville de Siem Reap, au Cambodge. Je l’avais rencontré par le biais de mon ami Soun, un ancien général Khmer rouge, qui allait nous accompagner lors d’un reportage. Ensemble, nous avons établi notre itinéraire pour la journée – nous nous apprêtions à conduire 140 kilomètres pour aller dans les tréfonds de la province d’Otdar Mean Cheay, qui fut le bastion des Khmers rouges jusqu’à leur défaite. Notre mission était simple : suivre une poignée de soldats des Forces armées royales khmères (FARK) lors d’une partie de pêche à l’AK-47.
Il est assez difficile de savoir où cette pratique trouve ses racines et combien de personnes continuent d’y recourir. Mon fixeur m’a appris que durant le règne Khmer, des soldats perfectionnaient leurs techniques de combat loin des champs de bataille, en chassant de petites bêtes sauvages et autres poissons quand la nourriture venait à manquer. Aujourd’hui, une poignée de soldats continuent de pêcher de la même manière – la seule différence étant que leur royaume n’est plus en guerre, bien que toujours profondément affecté par la pauvreté.
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Au cours de notre voyage, nous sommes passés par des anciens champs de bataille où les Khmers Rouges se sont battus contre les Vietnamiens. Alors que nous traversions les champs, Soun m’a parlé des scènes de guerre auxquelles il avait assisté – et parfois participé. « Tu vois le champ en face de nous ? On était une dizaine dans ma section, et on a été pris en embuscade par plus de 100 troupes vietnamiennes. J’en ai tué 28 et blessé une centaine – mais seul un de mes hommes est mort. »
Après un trajet de quatre heures – dont au moins la moitié s’est faite sur des sentiers cahoteux et des zones inondées –, Soun a esquissé un sourire et m’a dit que je méritais au moins un massage gratuit pour avoir fait tout ce chemin. Personnellement, j’avais du mal à penser à autre chose qu’aux millions de mines non explosées qui gisaient potentiellement sous mes pieds. Lors de notre arrivée dans une base militaire isolée, nous avons été accueillis par Kim, un soldat incroyablement amical qui nous a gracieusement offert une canette de bière locale. Sa tenue décontractée – des tongs, un pantalon plissé et une chemise hawaïenne – ne laissait en aucun cas présager ses fonctions de général des Forces armées royales khmères, à la tête de plus de 300 soldats.
Alors que nous dégustions nos bières glacées dans la maison du général Kim, trois soldats armés d’AK-47 sont arrivés en moto. Ces trois personnes ont une manière bien particulière de taquiner le goujon, puisqu’ils n’utilisent pas de canne à pêche, de filet ou d’hameçon – préférant escalader des arbres et tuer leurs proies avec des fusils d’assaut. Pour être complètement honnête, j’ignore si d’autres soldats qu’eux utilisent encore cette technique – eux-mêmes m’ont avoué qu’ils n’en savaient rien.
Nous sommes montés dans un 4×4 militaire pour aller au fin fond de la campagne cambodgienne, afin de suivre les trois soldats. Après une autre longue heure de trajet, nous avons laissé nos véhicules derrière nous pour nous enfoncer dans des eaux troubles jusqu’à atteindre un grand lac. Les soldats se sont ensuite chargés de nous installer sur un petit lopin de terre situé près d’une zone poissonneuse, et ont rassemblé des branches d’arbre et des feuilles afin de nous constituer une table de fortune pour le dîner. Quelques bières plus tard, ils se sont mis en sous-vêtements et ont chargé leurs armes pour commencer à pêcher.
Au bout de quelques secondes, l’un des soldats que j’accompagnais a grimpé sur un arbre au tronc particulièrement épineux et s’est mis à tirer, constamment à la recherche de bulles dans le lac – un signe révélateur de la présence de gros poissons dans le lac. Mais une heure et de nombreuses balles perdues plus tard, les soldats sont rentrés bredouilles. Toujours perché sur son arbre, l’un d’eux a relativisé : « Au moins, on a de la bière fraîche et du poulet dans la glacière. » Et si les soldats ont fait chou blanc ce jour-là, j’ai au moins pu tirer une bonne dizaine d’images de cet étrange périple.