Range Tes Disques est une rubrique dans laquelle nous demandons à un groupe ou un artiste de classer ses disques par ordre de préférence. Après Korn, Slipknot, Lagwagon, Hot Chip, Manic Street Preachers, Primus, Burning Heads, le label Fat Wreck Chords, New Order, Ride, Jean Michel Jarre, Blur, Mogwai, Ugly Kid Joe, Anthrax, Onyx, Christophe, Terror, Katerine et Redman, c’est au tour du leader des Thugs de classer leurs disques, de celui qu’il trouve le moins bon, à celui qu’il considère comme le meilleur.
8. Strike (1996)
Noisey : Pourquoi Strike en dernière position ?
Éric Sourice : Strike est l’album préféré de pas mal de gens, à tel point qu’au sujet des rééditions on me demande souvent quand est-ce qu’on va le sortir en vinyle. Le truc c’est que pour moi, et pour la majorité des membres du groupe, ce n’est pas un bon souvenir d’enregistrement. Il y a des supers morceaux, comme « Waiting », mais c’est le seul enregistrement où je suis sorti du studio en me disant : « Allez, on refait des morceaux et on va très vite en studio enregistrer un autre album ».
La collaboration avec Steve Albini a été difficile ?
En effet, avec Steve Albini ça ne l’a pas fait du tout. On a toujours attaché une grande importance aux gens avec qui on travaillait, mais je pense qu’on ne l’intéressait pas du tout. Il avait un contrat et il se faisait de l’argent. C’est une impression, celle de quelqu’un qui s’en foutait et qui n’était pas du tout sur la même longueur d’ondes que nous. Musicalement, on était beaucoup trop pop pour lui. Pour nous enregistrer il posait les micros et basta. Evidemment, il a aussi fait son travail d’ingé-son mais avec une approche plus brute et nous, on voulait tout sauf ça, on voulait faire comme d’habitude, avec des chœurs, des arrangements… En plus, à cette période, on s’interrogeait sur de nouvelles expérimentations, comme ajouter des claviers, et lui n’était pas du tout dans cette optique. C’est un très mauvais souvenir de studio, et voilà pourquoi je le classe en dernier même si j’aime tout de même l’album – c’est surtout la façon dont il a été conçu qui ne m’a pas plu.
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7. Radical Hystery (1986)
Votre premier album donc.
Oui, et ça reste un premier album. On s’est toujours étonné de ce qui nous arrivait mais en même temps, on l’a provoqué. On était comme des gamins, on se disait que tout était génial, que ce soit notre premier concert, notre premier 45 tours, l’album, les tournées… On découvrait le monde, on construisait quelque chose, et le premier album reste important. Mais j’ai un peu de mal à réécouter Radical Hystery. On est en 1985, à une époque où il y a peu de studios qui savent enregistrer du garage punk. L’ingénieur du son n’était pas du tout dans la musique rock et je trouve le son moyen. Malgré tout, je garde un super souvenir de cet enregistrement en pleine Normandie.
C’est après ce premier album que vous avez décidé de travailler et de trouver votre son ?
Oui et non. On a toujours énormément travaillé le son, que ce soit sur scène ou pour les enregistrements. C’est Christophe [Sourice, batterie] qui produisait quasiment tout. On s’est retrouvés plus tard dans des studios anglais où Motörhead était passé deux ans plus tôt, des lieux plus adaptés à ce qu’on voulait faire. Je pense que sur Radical Hystery, ça a vraiment été un problème de studio. Le son c’est quelque chose qui avait énormément d’importance pour nous, on savait déjà ce qu’on voulait et ce qu’on ne voulait pas. À l’époque on tournait avec nos propres moyens, à savoir une petite sono pour jouer dans des clubs ou des bars. On avait des idées très précises alors qu’avant de monter le groupe on n’était pas musiciens. On a commencé à jouer vers 18 ans parce que c’était le mouvement punk et qu’on voulait faire comme les autres : monter sur scène sans vraiment savoir jouer. Sauf qu’on était des fans de musique et on savait ce qui nous branchait. On était fan des Dogs et des Nomads, et on recherchait un son qui soit entre les deux : beaucoup de guitare style les Nomads avec le coté mélodique des Dogs. Et puis aussi les Buzzcocks, du rock garage sixties… Un peu de tout ça en même temps.
6. Nineteen Something (1997)
Pour cet album vous retournez travailler avec Kurt Bloch avec qui vous aviez enregistré As Happy As Possible en 1993.
Super souvenir avec Kurt avec qui on avait en effet déjà travaillé à Seattle. On a voulu retravailler avec lui parce que ça c’était tellement bien passé sur As Happy As Possible. On n’était pas au top à cette période et on a eu un petit peu de mal en studio – heureusement qu’il était là. Je me rappelle de lui derrière la cabine son en train nous faire des grands gestes pour nous marteler le rythme. Le slogan de cet enregistrement c’était « Viva la distorsion ! » C’était vraiment la personne qui nous correspondait totalement et puis sur cet album il y a de supers morceaux, des titres que j’adore. C’était un peu l’inverse de Steve Albini en fait puisqu’on a pu inclure des sonorités qui nous correspondaient et les influences que chaque membre du groupe pouvait avoir se retrouvent dans cet album. Tout ça avec des arrangements, des morceaux très bruts, et d’autres plus mélodiques.
Comme le titre « Les lendemains qui chantent », interprété en français.
Ça c’est un petit peu moi qui ait poussé pour avoir un texte en français. On a fait peu de tentatives d’écriture en français mais ce morceau là, je l’adore. Peut-être que les autres ne sont pas aussi bien… Evidemment, on nous a sorti le « vous chantez en français parce que vous voulez que ça passe en radio », mais on s’en foutait total !
5. Still Hungry, Still Angry (1989)
Pas mal de nouveaux événements avec cet album : la rencontre avec Sub Pop, avec Jello Biafra, le changement de bassiste…
Beaucoup de changements, effectivement, mais dans une sorte de continuité. Déjà au moment du premier 45 tours j’avais reçu un appel de New-York, du mec qui gérait le label Midnight Records, qui avait écouté et qui trouvait ça super. Still Hungry c’est en effet la rencontre avec Sub Pop à Berlin lors du festival Berlin Independence Days. Une super rencontre qui détermine tout ce qui nous arrive ensuite aux États-Unis, et aussi la vision que les gens vont avoir de nous en France, et si ce sera encore plus vrai avec I.A.B.F., l’album suivant. Still Hungry c’est notre premier véritable album et on était à une période un peu charnière mais toujours dans la même logique puisqu’on tournait déjà en Europe, pas mal en Angleterre… Mais la rencontre avec Sub Pop, ça a vraiment été le point de départ de l’aventure américaine.
1989, en France, c’est aussi l’année de la dissolution des Bérurier Noir dont vous étiez un peu l’opposé finalement. Vos textes sont engagés mais sans slogan ou martelage. Vous vous situiez comment au sein de cette scène ?
On en a toujours fait partie vu qu’on était chez Gougnaf Mouvement puis chez Bondage pour les sorties françaises. Et puis Doudou, notre tourneur, s’occupait aussi de Parabellum. Concernant les Bérus, on a eu une seule date avec eux et le concert a été annulé. Par contre, on a joué un peu avec Ludwig Von 88 et on croisait quand même pas mal tous ces groupes-là. On jouait bien évidemment davantage avec des groupes comme Les Rats, Parabellum ou Les Sheriff, qui étaient un peu plus proches de ce que l’on pouvait faire musicalement. Mais à l’époque il y avait deux chapelles : celle du label Closer avec les groupes qui chantaient en anglais, qui avaient une vision plus internationale du rock, et celle du mouvement alternatif qui chantait en français.
Sur le label Bondage on était avec ces groupes là, on pouvait jouer dans des concerts ou des festivals avec eux mais en même temps on était ni alternatifs ni vraiment de l’école Closer. On était très fiers de ça, ça nous amusait beaucoup. Pour nous, la voix et les paroles étaient un instrument en plus. Ce qui importait c’était notre démarche, c’était un tout, jusqu’aux pochettes. On n’avait pas vraiment de slogans, on avait une vision peut-être plus complexe, on pensait que tout n’était pas aussi évident que ça. On avait des paroles qui n’étaient pas forcément plus nuancées que « La jeunesse emmerde le Front National » mais qui abordaient les problèmes de façon plus globale et réfléchie. On a toujours accordé une grande importance aux textes.
4. Electric Troubles / Dirty White Race (1987)
C’est l’époque où vous signez chez un label anglais : Vinyl Solution.
Oui et ça nous a permis d’être entendus à un niveau international à une époque où c’était super difficile pour les groupes français de sortir de l’hexagone. Il y avait des possibilités comme l’Italie, l’Espagne, la Suisse… On a fait la Grèce aussi mais c’était un truc un peu spécial. Mais pour ce qui était de l’Allemagne, l’Angleterre ou les États-Unis, il fallait passer par un label international comme Vinyl Solution, qui diffusait partout dans le monde à l’inverse des labels français qui avaient une portée très limitée. Ça nous a ouvert plein de portes, on a tourné davantage, ça a notamment permis de faire cette date à Berlin où l’on a rencontré Sub Pop. Après l’enregistrement de Radical Hystery dans un petit studio normand on est allés à Londres, au studio Redwood, qui voyait défiler tous les groupes de rock. Ça a été rapide, on a enregistré en trois jours mais on était un groupe qui était tout à fait prêt au moment d’arriver en studio, avec des morceaux que l’on jouait de la même façon que dans le local de répète mais entourés de gens qui étaient capable de retranscrire notre son.
Vous avez aussi enregistré une Peel Session pour la BBC en 1987.
On était très flattés, avec John Peel qui disait à l’antenne qu’on était l’un des seuls groupes dont il écoutait les albums quand il rentrait à la maison. On était comme des gosses recevant leur cadeaux à Noël.
3. I.A.B.F. (1991)
I.A.B.F. pour International Anti-Boredom Front, le Front International Contre L’Ennui…
Aux États-Unis, le disque est sorti chez Alternative Tentacles parce que Sub Pop avait des problèmes d’argent à moment là et qu’ils ne pouvaient pas le sortir, donc on s’est tournés vers Jello Biafra. I.A.B.F. est un album où il n’y a rien à jeter, il y a une vraie cohérence, et c’est vraiment l’album qui symbolise vraiment notre rencontre avec les États-Unis, notre première tournée là-bas… Il se passe beaucoup de choses à ce moment-là : c’est l’un des albums qu’on vend le plus, pour lequel on a le plus de licences un peu partout dans le monde et grâce auquel on tourne énormément à l’étranger.
L’album est sorti en 1991. Vous avez ressenti un changement vis-à-vis des années 80 ?
C’était une période particulière pour le rock en France, puisque le mouvement alternatif arrivait à sa fin. Plein de groupes ont quitté le navire pour aller sur des majors, le business reprendait le dessus, au grand dam de tous les labels indés, des assos organisatrices de concerts, des fanzines, des radios… Tout ce qu’il avait fallu créer au début des années 80 parce qu’il n’y avait rien. Il a fallu tout construire et ça a donné des choses géniales, comme Bondage, comme Gougnaf, comme tous les groupes, le mouvement… C’était une ébullition totale, c’était génial. Les années 90 c’est aussi le moment où apparaissent dans l’espace français ces salles de musiques actuelles qui ont fait tellement de mal au mouvement. À partir de là, on a compris qu’on allait beaucoup moins rigoler. Mais c’est aussi le moment où on a commencé à tourner aux États-Unis, où nos disques ont commencé à sortir là-basn, et d’un coup, le regard que nous portait le public français a totalement changé. Alors que nous, on n’avait pas changé – même si musicalement il y avait une petite évolution, on faisait toujours la même chose.
On a alors attiré beaucoup plus de monde dans les concerts et on sentait que les gens venaient nous voir en se disant « Putain c’est un groupe qui est signé aux États-Unis et qui tourne aux États-Unis, ça doit être bien ! », ce qui nous faisait beaucoup rire, surtout qu’on nous présentait comme le groupe qui était sur le même label que Nirvana. On avait beau dire qu’on était le mauvais élève de Sub Pop puisque c’est nous qui vendions le moins, et on faisait entre 15 et 100 personnes dans les clubs où l’on jouait aux États-Unis – parfois un peu plus, heureusement. On était comme le groupe américain de base qui fait 30 concerts en 40 jours et on avait beau expliquer ça aux gens, ils s’imaginaient qu’on faisait des tournées triomphales. [Rires]
2. Tout doit disparaître (1999)
Le titre de ce dernier album c’était une manière de prouver votre sincérité et votre authenticité tout au long de votre carrière ?
En fait, le titre de l’album on l’a trouvé en sortant de la réunion où l’on venait de décider que c’était la fin du groupe. On s’est dit qu’on allait enregistrer et qu’on ferait notre dernière tournée. Dans la rue, on est passé devant un magasin où était inscrit « Tout doit disparaître ». On tenait le titre de l’album et ça convenait totalement. Toutes les histoires s’arrêtent à un moment ou un autre, c’est la fin parce que c’est la vie et qu’il y a des moments où il vaut mieux s’arrêter que continuer. Le « Tout doit disparaitre » c’est aussi pour dire que ce n’est pas grave, qu’on n’allait pas se morfondre et qu’on avait vécu une super aventure. Cette dernière tournée était bizarre car on savait qu’on arrêtait sans que ce soit vraiment digéré. Heureusement qu’il y a eu la tournée de 2008 qui s’est faite dans la décontraction et dans la convivialité. Ça a permis de vraiment mettre le point final à l’aventure. La boucle était bouclée. Pour en revenir à ce dernier album, l’enregistrement a été génial et très chargé émotionnellement. Je l’aime beaucoup, je trouve qu’il contient de supers morceaux. Je l’ai aussi mis en deuxième position car c’est l’album dont personne ne nous parle jamais [Rires].
La tournée qui a suivit l’enregistrement a dû, elle aussi, être chargée en émotions.
Oui, il y a eu des concerts un peu rudes. Surtout le dernier à Angers, et celui à la Roche-sur-Yon.
1. As Happy As Possible (1993)
Je l’ai mis en premier car c’est sans doute le meilleur souvenir de studio. C’était à une époque où, au niveau du groupe, on sentait une véritable osmose sur les compositions, les enregistrements. J’ai le souvenir d’un album pour lequel on a travaillé tous ensemble, avec Kurt Bloch, avec les gens de chez Sub Pop qui nous accueillaient chez eux, avec Mudhoney qui nous invitait à des barbecues… Et on adore Seattle, c’est une ville où on se sent bien, qui a ce côté très cool. C’était devenu la capitale du grunge, il s’y passait beaucoup de choses, il y avait énormément de groupes… Même si c’est une ville qui compte plus de 500 000 habitants elle garde un coté un peu provincial, elle donne sur la mer et sur des paysages magnifiques. On y est restés assez longtemps, 21 jours en studio, ce qui ne nous était jamais arrivés – et qui ne nous arrivera plus jamais par la suite. On a vraiment pris notre temps, c’était le premier album qui sortait chez Sub Pop et, à l’inverse de Strike, on a vraiment pu travailler. C’était vraiment la bande-son de ce que l’on vivait à ce moment là à Seattle, dans la ville et le studio.
C’était pendant les play-offs NBA et on peut entendre sur quelques morceaux des commentaires de match. Tu asussi les rires d’un gamin qui était le fils du propriétaire du studio. Ce n’est pas pour autant que tous les morceaux sont réussis, certains sont moins bons que d’autres, mais c’est un double album. Il y a aussi le nom de l’album trouvé par Christophe, As Happy As Possible, qui, je trouve, est un super titre, qui nous résume totalement. De son côté, Sub Pop nous disait qu’un double album c’était peut-être trop et qu’on pouvait peut-être faire plus court. On a dit non, on avait déjà tous les morceaux. Ils voulaient aussi mettre une photo d’Hitler devant la tour Eiffel sur le CD, on leur a dit qu’on ne trouvait pas ça hyper drôle [Rires].
C’est l’album qui a eu le plus de succès ?
On n’a jamais vraiment eu de gros succès, notre plus gros carton c’est sans doute I.A.B.F. avec le morceau « I Love You So » qui passait beaucoup sur M6 et nos premiers pas aux États-Unis. Mais As Happy As Possible est l’album qui s’est le mieux vendu, très certainement, car il arrivait en pleine explosion grunge. Toutes les conditions étaient réunies.
D’ailleurs, vous avez joué en première partie de Nirvana en 1993 à Neuchâtel, à la Patinoire du Littoral. Tu en gardes un souvenir particulier ?
C’était spécial, surtout de jouer avec cette espèce de phénomène auquel personne n’a jamais vraiment rien compris, excepté que Nirvana était un super groupe et Nevermind, un album monstrueux. Après, c’était quand même assez bizarre puisque justement, leur notoriété faisait que ce n’était pas un concert comme les autres. On avait peu de rapports avec Kurt Cobain, davantage avec le bassiste Krist Novoselic. Christophe a d’ailleurs fait une interview croisée pour Best avec lui. Je sais que Krist venait aussi nous voir en concert à Seattle. Mais c’était tellement devenu une grosse machine avec tout le business derrière… C’était un gros concert comme un autre et ce n’était pas ce que l’on préférait. On ne s’amusait pas avec eux comme quand on jouait dans des clubs avec des groupes comme les Maniacs. On a fait une tournée avec les Breeders au cours de laquelle on a joué au Zénith, chose que je voulais éviter mais que le reste du groupe a voulu faire. Ce n’était franchement pas ce qui m’intéressait.
Nicolas Milin n’est pas intéressé par la notoriété. Il est sur Twitter.