Cela aurait pu être une des scènes de Gravity, mais sans Sandra Bullock ni George Clooney. Début février, un satellite militaire météorologique a explosé alors qu’il était en orbite autour de la Terre. Les analystes essayent encore de démêler ce qu’il a bien pu se passer dans les derniers moments de vie opérationnelle du satellite. Les experts se demandent aussi quel sera l’impact de cette explosion sur le problème récurrent des débris spatiaux.
Cette semaine de nouveaux détails ont été connus du grand public. Les scientifiques savent désormais que le satellite est tout un coup « monté en température » alors qu’il était en orbite, à près de 850 kilomètres au-dessus de la surface de la Terre. Pour répondre à cet événement inopportun, les opérateurs du satellite de l’Air Force américaine, basés dans l’État du Nebraska ont essayé de mettre le satellite en « safe mode » et ont « désactivé tous les dispositifs non-essentiels à la bonne marche du satellite, » pour essayer de le sauver. La man?”uvre n’a pas eu l’effet escompté — le satellite a commencé à tournoyer jusqu’à la perte totale de contrôle. Quelques instants plus tard, le DMSP F-13 (autrement dit le Defense Meteorological Satellite Program Flight 13) s’est désagrégé en explosant — selon le Joint Space Operations Center installé en Californie.
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Après l’explosion, le satellite a continué de se désassembler comme un figurant de Gravity. Chaque pièce du satellite risque de se crasher vitesse grand V dans un autre satellite — enclenchant le mécanisme auto entretenu des débris spatiaux : les déchets percutent des structures viables, créant de nouveaux débris. Et ainsi de suite.
Il n’y a apparemment pas de raison de penser que des actions extérieures, par exemple d’autres pays, aient pu conduire à la désintégration du satellite DMSP F-13. Le magazine spécialisé Aviation Week rapporte que l’armée de l’air américaine attribue ce catastrophique dysfonctionnement à un problème du système d’alimentation du satellite. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées : une batterie a surchauffé, un court-circuit des panneaux solaires, ou bien un débris qui aurait touché une pièce essentielle du satellite qui traîne ses 800 kilos depuis 20 ans dans l’espace.
Le projet constellation DMSP (l’ensemble des satellites militaires américains à visée météorologique) a été lancé dans les années 1960, et a été porté à l’attention du public 1972. L’objectif premier des satellites est de suivre les tendances météorologiques dans l’espace et au sol pour des opérations militaires. Les capteurs embarqués à bord permettent de prévenir des tempêtes et peuvent même servir à créer des images 3D de nuages. Les données météorologiques sont aussi partagées avec les agences météo comme la National Oceanic and Atmospheric Administration pour les aider à faire leurs prévisions.
L’armée de l’air américaine déclare que la perte du satellite DMSP F-13 n’aura qu’un impact mineur sur la conduite de ses opérations puisqu’il y a actuellement 6 autres satellites en orbite pour la même mission. Le F-13 avait été rétrogradé à un rôle de satellite « de secours » en 2006. Un autre engin devrait être lancé un peu plus tard en 2015. Ce n’est pas la première fois qu’un satellite a explosé en vol — le grand frère du F-13, le F-11 est le dernier à avoir péri en 2004.
Des compagnies privées et des astronomes amateurs, qui traquent les objets en orbite, dénombrent près de 46 débris incontrôlables provenant du F-13 qui tourne autour de la Terre à une vitesse de près 8 000 mètres par seconde. Jusqu’ici aucune collision avec un autre satellite n’a été officiellement recensée, mais ces débris vont continuer à être un danger pendant des années — jusqu’à ce qu’ils rentrent dans l’atmosphère terrestre et se désagrègent totalement.
Comme le révèle la US National Security Space Strategy, l’espace est en train de devenir un environnement de plus en plus congestionné — et ce n’est pas près de s’arranger, de plus en plus d’engins vont venir y élire domicile. Le Département de la Défense américain traque 22 000 objets de 10 centimètres ou plus en orbite — estime que près de 500 000 autres débris seraient trop petits pour les détecter.
La dernière fois que l’explosion d’un satellite avait fait les gros titres c’était en 2007. La Chine avait choisi d’abattre un de ses engins spatiaux pour tester le bouclier de protection de ses satellites. 3 000 débris supplémentaires ont résulté de l’opération chinoise. Les débris en orbite continuent de perdre progressivement de l’altitude, 850 kilomètres de haut à l’origine. Dans leur chute, ils ont détruit un satellite russe en janvier 2013. Ils continuent d’être une véritable menace.
Les objets qui tournent en orbite peuvent abîmer gravement d’autres satellites qui se déplacent ) la même altitude. L’espace est si grand que les crashs n’arrivent pas tous les jours. Mais quand ça arrive, la note atteint rapidement des millions de dollars de casse. À vitesse orbitale, un petit débris de 8 millimètres fait autant de dégâts à l’impact qu’une Harley Davidson lancée à 100 kilomètres par heure.
Quand la navette spatiale américaine était encore opérationnelle, des micrométéorites de la taille d’une goutte de peinture abîmaient le pare-brise du vaisseau à chaque déplacement. Le triple vitrage du verre était tellement attaqué après chaque mission, que les ingénieurs ont décidé qu’il serait plus simple et moins cher de remplacer le verre après chaque mission plutôt que d’essayer de le réparer. Heureusement, les débris du F-13 volent loin de la Station Spatiale Internationale — qui orbite en temps normal vers 400 kilomètres au-dessus de nos têtes. Les six astronautes qui sont actuellement à bord ne devraient donc pas être affectés.
Ça ne veut pas dire pour autant que tout va bien. Donald Kessler est scientifique pour la NASA et propose un scénario très plausible, baptisé le « syndrome Kessler » : les débris atteignent d’autres satellites, d’autres débris se forment, ce qui engage une augmentation exponentielle des collisions et donc des débris. Si bien qu’un nuage impénétrable de débris pourrait se former et empêcher tout vol spatial. Si les objets produits par les humains — type satellite — continuent de se désintégrer mutuellement, cela pourrait devenir un jour une réalité.
La communauté internationale reconnaît que les débris spatiaux sont un véritable challenge qui doit être pris en compte pour toutes les missions spatiales prévues pour le futur. Dorénavant les nouveaux satellites et fusées doivent réduire le nombre de débris qu’ils produisent. En revanche, il n’y a pas vraiment de mécanismes ni de lois pour s’assurer que les pays collectent les détritus spatiaux.
Les scientifiques et les ingénieurs ont multiplié les idées pour éviter de faire de l’espace une poubelle géante et commencer à nettoyer le cosmos grâce notamment à un technicien de surface spatial, un balai laser, des « canons à air », des filets géants, et des voiles solaires. L’agence spatiale européenne présente déjà une animation de ces potentielles solutions futures pour nettoyer l’espace.
Le problème avec ce type de solutions — ce qui explique pourquoi peu ont dépassé le stade du concept — est de trouver quelqu’un qui veuille bien les financer. Les gouvernements ou les entreprises n’ont aucun intérêt financier à collecter les débris spatiaux. Du moins, pour le moment.
La solution la plus simple et la moins chère serait de déplacer un peu les satellites pour éviter qu’ils ne soient atteints par des débris. Cela peut permettre d’éviter une collision, mais ne règle pas le problème de débris qui se désintègrent entre eux — créant d’autres déchets de l’espace.
L’espace souffre de la tragédie des parties communes quand personne ne veut dépenser de temps ni d’argent pour nettoyer le bazar qu’ils y ont mis.
Suivez Stevent Tomaszewski sur Twitter @stevetomski