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Xeno & Oaklander nous ont parlé de hardcore, de littérature et de l’enfer qu’est devenu New-York

Raté pour la parité : j’avais rencard avec Xeno & Oaklander juste avant leur concert à La Maroquinerie mais je me suis retrouvé seul face à Martial Canterel (Sean Mc Bride de son vrai nom, moitié masculine du duo), allongé sur un canapé, dans l’affliction la plus totale. En fait non, il était juste crevé, et Liz venait de se barrer chercher les clés de leur piaule avant de revenir pour le dîner en famille. Bon, le truc cool, c’est que ça nous obligera à remettre ça.

Si vous ne connaissez pas le duo de Brooklyn, sachez que c’était le groupe sur lequel branchés comme corbeaux s’éclataient en 2009 -année où est sorti leur premier album, Sentinelle– après avoir bien vérifié que tous les radiateurs étaient éteints. Depuis, la synth-wave est devenue un mot clé repris sur tous les Bandcamp du Pérou à la Malaysie. Wierd Records, maison-mère du genre dans les années 2000, a, elle, lâché l’affaire et le dernier album de Xeno & Oaklander, Par Avion, est finalement sorti il y a quelques semaines chez Ghostly aux Etats-Unis. Mais l’engouement est resté intact. Avant que Martial ne fasse s’abattre une pluie de nappes froides et de beats chaotiques sur la salle du 20ème arronidssement, nous avons discuté géographie, livres de poche et déliquescence de Brooklyn, le tout sans jamais utiliser une seule fois le mot « gentrification ».

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Noisey : D’où vient Martial Canterel ?
Sean McBride :
Je suis né en 1975 à Washington DC. J’ai grandi dans la grande couronne de Washington. Je suis né à DC mais j’ai passé la majeure partie de mon enfance dans l’état du Maryland. Je suis ensuite allé à l’université dans le Massachusetts puis j’ai bougé à New York. J’y vis depuis 15 ans maintenant.

Je savais pas que tu étais de DC, t’as grandi à l’époque de Dischord Records en fait. Tu avais un groupe à l’époque ?
Non… J’ai vu quelques concerts de Fugazi évidemment, mais je n’ai jamais été très emballé par l’esprit « équipe de football du lycée » qui régnait dans cette scène. Je ne me suis jamais impliqué là-dedans.

T’avais un problème avec les guitares ?
Non, c’est même pas ça, mais j’étais déjà attiré par la musique électronique, la musique plus sombre… Le hardcore était trop identifiable pour moi, je n’ai jamais eu envie de rejoindre une équipe.

Ça t’es venue comment cette passion pour l’électronique ?
À l’université. Ils avaient plein de labos de musique, c’est là que j’ai été exposé pour la première fois à d’énormes synthés modulaires, des trucs des années 70. J’avais déjà quelques bases, j’ai appris en quelque sorte le piano par moi-même, au lycée, et ça m’a conduit aux synthés un peu plus tard. Mais je suis vraiment tombé dedans à l’université.

Rien à voir avec tes parents donc.
Non, mes parents n’ont strictement rien à voir avec la musique.

Bon, et Liz, elle vient d’où ?
Elle est née à Oslo. Son père était ambassadeur de la Norvège au Conseil Européen et donc elle a passé la plupart de son adolescence à Strasbourg. Elle habitait juste à côté de la cathédrale. On s’est rencontré en 2003, à Brooklyn.

Tu faisais de la musique avant ça, d’abord sous le pseudo Moravagine (l’anti-héros de Blaise Cendrars) puis sous le nom de Martial Canterel (le héros de Raymon Roussel). T’es un dingue de littérature française ou quoi ?
Ha ! Je devais l’être à cette époque oui ! J’ai lu Moravagine au début des années 2000 et j’ai adoré le protagoniste, cette espèce de membre de la famille royale complètement psychopathe, puis le nom me parlait. Je ne me souviens pas du moment précis où j’ai décidé de le prendre mais à un moment, je me suis rendu compte que le nom avait déjà été pris par un groupe de hardcore italien dans les années 80. Donc j’ai décidé de le changer en Martial Canterel. J’aime beaucoup Raymond Roussel. Les métagrammes, les anagrammes, la narration non-linéaire… Martial Canterel avait plus de sens à mes yeux. Désolé je crois que c’est un peu chelou comme réponse, je suis vraiment crevé ! [Rires]

Pour Xeno & Oaklander, la combinaison du nom vient d’un livre de métaphysique utilisé dans les universités. C’est une sorte d’étude psychiatrique façon Wittgenstein. Le premier chapitre concerne le paradoxe de Zénon et le type qui a compilé le bouquin s’appelle Nathan Oaklander. Ça a donné Xeno & Oaklander…

Il y a d’autres livres qui t’ont marqué ?
Hmm ouais, il y a Alasdair Grey, un écrivain écossais, son roman Lanark, ce livre a vraiment été formateur dans les premières années de Moravagine. Quoi d’autre ? Ah si, l’année dernière j’ai lu The City & The City de China Miéville, un écrivain anglais, c’est une sorte de roman noir de science-fiction qui est vraiment superbe. Ça peut paraître étrange mais à côté de ça, j’adore la langue hongroise. Et je passe mon temps à lire des livres de grammaire hongroise. J’essaie d’apprendre autant que je peux, même si je n’ai pas vraiment de partenaire pour me répondre.

C’est donc pour ça que vous avez tourné votre dernier clip à Budapest.
C’est intéressant parce que nous étions là-bas pour un concert et le réalisateur de la vidéo, Thomas Torres, bosse pour une compagnie aérienne et il a pris l’avion sur un coup de tête pour nous rejoindre, de Los Angeles. Et on a fait le film. Aussi simple que ça ! Mais ouais, j’aime beaucoup Budapest, c’est une ville magnifique, remarquable. Ses boulevards me rappellent ceux de Paris d’ailleurs, et je pense que c’est bien une ville bien plus belle que Ljubljana ou Prague ou… Désolé, je ne veux tailler personne non plus.

Sur votre dernier album vous avez un morceau intitulé « G. Bruno ».
Oui. Alors, Giordano Bruno est né à Nola, une petite ville à l’est de Naples. J’ai passé beaucoup de temps dans ce coin et je crois que c’était juste une référence inconsciente à ces moments de ma vie, pas forcément un hommage au philosophe hermétique. La chanson n’est pas à propos de lui, c’est un accident.

Vous avez vécu dans plein d’endroits différents en fait.
Liz a vécu à Oslo, Strabourg, Caen, Londres, Bristol, Amsterdam et New York. Moi, simplement à Washington DC, ensuite Boston, puis New-York. On est souvent allés passer des séjours chez sa famille vers Lannion aussi, dans les Côtes d’Armor, c’est un super coin. Et aujourd’hui je bouge souvent en Italie, c’est là-bas que ma copine habite. Et j’essaie d’aller à Budapest autant que je peux.


Photo : Amanda Hatfield

Parlons un peu de Brooklyn. Les choses ont du pas mal évolué depuis 15 ans.
Oh mon Dieu, c’est horrible.

Ahah.
Horrible. Je ne sais même pas par où commencer avec ça. La ville en elle-même est… Bon, je ne peux pas parler pour Brooklyn en général parce que je viens du nord du district, mais je pense que ce phénomène n’est pas seulement inhérent à Brooklyn. C’est un phénomène global, capitaliste, aux causes multiples, financièrement et économiquement… La communauté est devenue un terrain de jeu pour les fils et les filles des riches exploitants européens ou sud-américains. Tu as ces boutiques aux loyers astronomiques, et il n’y jamais personne dedans, c’est juste de la vanité… Ce n’est pas vraiment le cas pour Manhattan, je crois que Manhattan a toujours cette verve, ce cosmopolitisme, même si ça peut être profondément problématique socialement… Euh… C’était quoi la question déjà ?

L’évolution de Brooklyn entre 1999 et 2014.
En gros, il n’y a pas de solutions, la spéculation a atteint des sommets, les loyers ont triplé depuis que j’y suis, peut-être même plus, je ne crois pas qu’une communauté puisse exister ici vu l’état des choses, comme je l’ai dit, c’est tout simplement devenu un laboratoire, une cour de récré pour les gosses de riches. Les fonds d’investissement, voilà le genre de personnes qui viennent s’implanter à Brooklyn aujourd’hui, par exemple. Ils achètent des appartements à 2 millions de dollars en cash, boum. Tout a changé, il n’y a plus de cohésion… Désolé, j’ai du mal à m’exprimer correctement, je pourrais parler de ça pendant des heures…

Qu’est ce qui a provoqué tout ça selon toi ?
Déjà, quand je parle de Brooklyn, je parle de Williamsburg , Bushwick et Greenpoint. Il ne faut pas inclure tous les quartiers. Il y a d’abord eu ce plan de rezonage d’anciens sites industriels, sur l’East River. Tu avais la célèbre usine de sucre Domino, toute cette côte de Brooklyn était une zone industrielle. Et en 2003/2004, la mairie a organisé une nouvelle répartition, c’est devenu possible du jour au lendemain de construire des immeubles résidentiels là-bas. Et en quatre ans, on est passé d’entrepôts et d’usines à des immeubles flambant neufs de 30 étages. Ils ont poussé partout, c’était dingue, on en était même arrivé à déconner là-dessus tellement c’était surréaliste.

Qu’est ce que je peux dire sur tout ça ? New York est une ville chère, Paris aussi est chère, mais je crois qu’ici les gens sont plus tenaces. La même situation serait plus difficile à mettre en place à Paris, les choses ne se passeraient pas aussi rapidement qu’à New-York, où le turbo a littéralement été enclenché dans les années 2000. En gros, on a rasé un quartier entier pour en construire un autre par-dessus. Il n’y a pas d’héritage, c’est une chose importante je trouve. La possibilité d’un héritage, d’un legs, à New York est inexistante car tout est à vendre, c’est le plus offrant qui gagne. On vit une sorte de schisme entre les locataires et les propriétaires, personne ne se connaît, tout ce qui compte est le chèque en début de mois. C’est une sorte de bureaucratie ambiante, tu ne sais même plus qui habite ton quartier, qui sont les gens…

Et artistiquement parlant ?
Pour revenir à cette histoire d’héritage, la possibilité d’une communauté à une échelle locale, qui occuperait une place réelle dans la cité, est constamment sabotée, dépassée par les promoteurs, les spéculateurs, les agences immobilières, par tous ces enfants gâtés, et tu ne peux plus occuper un même endroit très longtemps. Nous vivons une époque où tout est éphémère.

Évidemment il y a eu Wierd, c’était merveilleux, ça a rassemblé une multitude de gens divers et variés, des artistes, des architectes, des musiciens, des travestis, il y avait une force fusionnelle. Puis, il y a eu ce désenchantement général qui est apparu, et il valait mieux tout arrêter avant que ce soit une force extérieure qui le fasse. Donc Wierd a été délibérément débranché.

Wierd Records n’existe plus du tout ?
Non, Peter se concentre maintenant sur ses peintures, il a exposé récemment à Détroit et je crois qu’il est actuellement en Inde pour une autre expo.

Qu’est ce qui te pousse à rester à Brooklyn ?
Tu sais, ma mère n’est pas très loin, elle vit toujours dans le Maryland, à 3 heures de routes de New York. J’ai mon studio ici. J’ai… des amis ici.

Ils ne sont pas tous partis ?
Beaucoup d’entre eux ont déménagé oui, à Budapest, à Valence, à Paris, en Italie… Evidemment il y en a encore quelques uns à New York. Mais c’est vrai que beaucoup quittent New York, même pour rester aux Etats-Unis, pour Los Angeles, Portland, Philadelphie, Détroit, Baltimore aussi… Je crois que toutes ces villes, sauf L.A. peut-être, sont à l’opposé du déterminisme new-yorkais, les possibilités de créer quelque chose, d’avoir son propre studio, un appartement décent, sans être un esclave au boulot sont une réalité là-bas.

Si tu devais aller vivre ailleurs ?
Hmm, choix difficile. Budapest ou Naples. Sûrement Naples en fait.

Très bon choix.
C’est une ville avec un cœur qui bat mec, avec un héritage, une ville construite sur elle-même, je ne pense pas qu’elle se transformera en New York un jour, l’Unesco l’empêcherait de toute façon.

Pour finir, qu’est ce qui t’excite musicalement en ce moment ?
Ah j’écoute surtout des vieux trucs. C’est dans les vieux pots… Tu connais la chanson, hein. Harold Budd, un compositeur d’ambient music qui a travaillé avec Brian Eno et Robin Guthrie des Cocteau Twins. John Foxx, il fait beaucoup de collaborations mais je trouve que sa musique est magique. J’aime beaucoup les bandes-son. Mihaly Vig, celui qui a signé la majorité des soundtracks de Bela Tarr. Très peu de musique contemporaine en fait ou alors des choses très populaires. Ca rejoint ce qu’on disait sur Brooklyn, j’ai l’impression que toute la culture, et la musique de fait, est juste une simple question de curation. On vit dans une culture du playback et de la compilation. Je sais pas, je crois que je lutterais toujours pour trouver une façon de sortir de ça. Disons que 95 % de ce qui sort aujourd’hui, et je ne vais citer aucun nom, plie sous le poids des années et sous un lourd passé. Les curateurs sont maintenant plus importants que les artistes, les labels sont plus importants que les artistes… Je crois que ça revient à cette question de sur-déterminisme à New York, faire attention à son image, être vu…

Tu crois que la musique va s’en sortir ?
Il y a des choses intéressantes, il y a des possibilités, la question n’est pas de citer un groupe mais plutôt un esprit. Par exemple, ces 4-5 dernières années, le marché de l’analog-synth a explosé. On est allé dans un magasin à Vienne qui en vendait, au Portugal aussi, en Australie, aux États-Unis, en France… Je crois que beaucoup de monde a compris que cette culture de playback a poussé les gens à se dire : « faisons-le avec des instruments réels ». Ce n’est pas une copie d’une copie d’une copie… Je crois que c’est intéressant et que ça aura de bonnes conséquences.

Tu as été l’un des premiers à avoir relancé tout ça d’ailleurs.
Il y avait d’autres gens qui faisaient des trucs avec des synthés modulaires hein, bien avant 2001, mais c’était marketé différemment en effet, plutôt comme une sorte d’outil studio très rare pour un usage professionnel sérieux, ça n’avait pas le profil d’un instrument live. Je ne sais pas si j’y suis pour quelque chose mais aujourd’hui, beaucoup de gens utilisent ce type de trucs en live.

Tu an un avis sur le terme « minimalwave » ?
C’est un label, non ? … Les gens qui utilisent ce terme, les journalistes en fait, le font pour englober un tas de choses et il est entré dans le langage courant des cercles journalistiques. En fait, si on met de côté le label, je suspecte le terme d’avoir été créé sarcastiquement et d’être devenu réel. Tu vois ? De notre côté, on préfère ce terme qui était utilisé dans le livre bouquin International Discography of New Wave pour décrire un disque allemande 1982 : « minimal-electronics ». J’aime beaucoup ce terme parce qu’il décrit la matérialité et non la mode, la vague, la tendance… Il est plus proche de la réalité matérielle de la musique. Donc j’aime bien. Mais bon, je ne chante pas partout que « je suis un artiste minimal-electronics » hein, on pourrait le croire en nous voyant en concert mais ce n’est pas le cas.

Si on reste dans les termes bidon, parlons de l’« EDM »…
J’ai découvert le terme récemment. C’est encore un truc marketing j’imagine… Je ne sais même pas ce que ça veut dire exactement donc voilà… Hey, je ne veux pas avoir l’air d’un type aigri et râleur hein ?

Non, non. Pas de problème. Krafwerk joue à Paris dans quelques jours, tu les as déjà vu ?
Ah, Liz les a vus à New-York il y a quelques mois. Elle a adoré…

[Il s’interrompt. Grand silence]

Ahah, tu voulais ajouter un truc ?
Je te le dirais hors enregistrement.


Gyors, Lassu, le nouvel album solo de Martial Canterel est dispo sur Dais Records depuis le 28 octobre.

Comme Martial, Rod Glacial pense que la comédie a assez duré. Il est sur Twitter – @FluoGlacial