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Le goût amer de l’Apocalypse

Sarcabane Jardin d'hiver paul rey

Personne ne s’est encore accordé sur une date – Pâques ? 2050 ? 2150 ? – mais tout le monde en convient : la fin de l’Anthropocène est proche. Réchauffement climatique, destruction des ressources de la planète, on ne compte plus les maux qui s’abattent sur cette bonne vieille Terre. Et comme Philippulus le prophète l’annonçait à Tintin dans L’Étoile mystérieuse, il est grand temps de faire pénitence.

Dans le cas extrêmement peu probable où l’humanité survivrait à la longue litanie de catastrophes annoncées, que mangerait-on une fois les matières premières épuisées ? À quoi ressemblerait le futur de la bouffe ? L’industrie agroalimentaire s’est déjà penchée sur la question, brossant un intrigant tableau à base de méli-mélo d’insectes, de simili poudre FEED ou de viande in vitro.

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Dans son roman graphique, Jardin d’hiver, paru aux éditions Sarbacane, Paul Rey livre son propre menu. « J’avais envie de parler d’un monde où il n’y aurait plus de plantes. Où l’on se nourrirait exclusivement de nourriture synthétique. Je voulais placer ce sujet, qui, de prime abord, ne prête pas forcément à l’aventure, au cœur de l’histoire, dans un contexte crédible ».

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Dans le futur dystopique qu’il imagine, la végétation a totalement disparu de la surface de la planète. En cause ? La Terratoxmose, une maladie issue de la mutation d’un agent parasite en contact prolongé avec des produits phytosanitaires qui a rendu le sol impropre aux cultures agricoles et décimé une large partie de la population.

Les gens qui cultivent encore des fruits et légumes sont vus comme de dangereux rétrogrades et pourchassés sans relâche par la Brigade Antinature (BAN), milice citoyenne qui n’hésite pas à faire le coup de poing. Grande gagnante de l’histoire : Synthésia, une multinationale spécialisée dans les pilules OGM qui s’en met plein les fouilles en inondant le marché de « plats automatiques » sans saveur.

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Un environnement plutôt anxiogène qui rappelle Soleil Vert, un film de Richard Fleischer. « Je suis un grand amateur de récits d’anticipation », abonde Paul Rey qui cite aussi la BD Viva Patamach ! de Killoffer et Capron. « Mais ce qui m’a donné envie d’écrire, c’est surtout d’avoir vu l’exposition sur Monsanto à Arles [« Monsanto, une enquête photographique » en 2017, NDLR]. Comme si deux mondes s’étaient télescopés : d’un côté la science-fiction et de l’autre, un quotidien où l’on parle régulièrement de biodiversité et d’extinction. »

Monsanto et son fameux « riz doré », variété génétiquement modifiée censée compenser le déficit naturel en vitamines A de la céréale, inspirent l’auteur autant que d’arpenter les rayons du supermarché – « On y croise des choses qui ne sont déjà plus du tout reliées à l’idée qu’on se fait de la nature. »

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Le lecteur suit le parcours de Raoul, jeune cuisinier nostalgique d’un temps qu’il n’a pas connu, dont le taf consiste à seconder Lartigue, personnage inspiré notamment par le chef Alain Passard, dans un restaurant gastronomique. « Je voulais que les personnages, dans leur passion et leur métier, soient affectés par cette situation au plus au point », précise Paul Rey.

Alors que Raoul commence sérieusement à se poser des questions sur le sens de la vie (Comment faire correctement son job quand le goût n’importe plus et que seul l’apparence des plats compte ?), il déclenche le courroux de la BAN en achetant une graine au marché noir. Une manière d’échapper à la routine des « unilégumes », galettes et autres ready-made de Synthésia qui montent doucement à la tête des chefs.

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Les cases baignent dans une lumière rose crépusculaire, un coucher de soleil infini que l’auteur a volontairement choisi comme véhicule narratif. « Je suis allé chercher la couleur opposée du vert pour créer une sorte de contraste. Et puis j’adore dessiner les paysages un peu lunaires, les montagnes avec beaucoup de rochers, les différences d’échelle entre les personnages et la nature. On ressent un côté vraiment mystique. »

Avant de conclure, Paul Rey invoque plusieurs figures dont celle de Gilles Clément, paysagiste intervenu notamment sur le parc André-Citroën à Paris dont le travail va à l’encontre de la tradition du jardin à la française. « J’aime sa philosophie de laisser vivre les espèces, dire qu’il n’y a pas de mauvaises herbes, cette sorte de chaos naturel ».

Quand on met en avant l’épilogue plutôt amer de son roman graphique, il réfute : « Je voulais travailler sur des nuances de gris. Que la fin ne soit ni positive, ni négative. Il y a des personnages qui font des compromis, d’autres non. Dans la vie, il y a des discours écologistes qui vont dans les deux sens. Même un collapsologue comme Pablo Servigne peut porter un message d’espoir. Je voulais rendre compte de ce panorama-là. »

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Jardin d’hiver, de Paul Rey, éditions Sarbacane, 156 pages, 23,5 euros

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