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Au coeur de l’étude britannique qui utilise le LSD pour soigner les maladies mentales

C’est le matin, 9h30, Tom Hulme regarde une seringue pleine de LSD s’enfoncer dans son avant-bras. Le temps que la substance pénètre dans son corps, trois minutes, Tom a le temps de se dire que ce qu’il vit ne ressemble pas franchement à une expérience de shoot à l’acide tout à fait classique. Il est complètement sobre, allongé dans un scanner IRM de l’hôpital de la Wales’ Cardiff University. Son corps est baigné dans une lumière fluorescente.

“Je pense que j’étais un poil angoissé,” nous raconte-t-il. “J’avais pas d’appréhension majeure, mais avec ce genre de truc, vous vous dites : ” Et si ça devenait atroce, que je faisais un trip vraiment horrible? “

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“Vous prenez ça dans un environnement médical. C’est loin de ce qu’on peut expérimenter dans une boîte.”

Cinq minutes passent. Et puis 10. Au bout de 15 minutes il pense qu’on lui a donné un placebo. Et puis il commence à ressentir un petit picotement.

“C’était une sensation plutôt chaude, avec des perturbations visuelles. Les murs ont commencé à respirer. Les couleurs avaient l’air beaucoup plus vives. J’étais pas stressé. Je me disais plutôt : “C’est maintenant, ça va partir.”

Avant que la drogue ne prenne complètement le contrôle, un des chercheurs l’aide à sortir de l’IRM, qui est en fait une machine factice. C’est un truc pour aider les participants à s’acclimater à l’environnement de l’étude scientifique. On le conduit jusqu’au vrai scanner. 

“Il était tout à fait clair qu’on m’avait donné du LSD. Vous êtes lové dans cette machine, et ils vous mettent ces gros écouteurs sur les oreilles. Vous ne pouvez entendre que ces bruits mécaniques qui marquent l’activité du scanner. Quand vous êtes défoncé, les bruits de la machine ressemblent à de la musique de rave, dans un genre assez hardcore. Franchement, je commençais à kiffer.”

Hulme est l’un des 20 volontaires qui ont participé à une étude du professeur David Nutt et du docteur Robin qui fera date dans les applications cliniques du LSD. Cette recherche a permis d’obtenir les tout premiers scans cérébraux de personnes défoncées à l’acide. Nutt et ses collègues cherchent des signes montrant que les drogues psychoactives peuvent être une piste pour inverser des comportements d’addiction ou de dépression. Les résultats à ses dires sont “très prometteurs”. Mais les scientifiques font face à de grandes difficultés pour continuer à financer leurs recherches.

“Ces drogues offrent des perspectives inédites dans le domaine de la santé mentale”, raconte Nutt lors d’une réunion à Londres mardi dernier. 

Nutt était l’un des conseillers les plus respectés du Royaume-Uni en matière de drogue. Il a été mis au placard en 2009 après avoir demandé à plusieurs reprises aux ministres d’adopter une politique vis-à-vis des drogues qui soit basée sur des constats empiriques. Depuis, lui et Carhartt-Harris luttent contre une législation basée sur la prohibition en menant des études qui marquent à chaque fois les esprits de la communauté scientifique. Ils ont ainsi étudié les effets de la MDMA et de la psilocybine sur le cerveau.

Leur travail fait écho à d’autres recherches médicales qui s’intéressent à nouveau au LSD, à la psilocybine, à la kétamine ou d’autres drogues qui pourraient déboucher sur des applications en médecine pour des traitements par exemple des dépressions ou des syndromes de stress post-traumatiques.

Ce genre d’étude fait débat, ce qui fait que les scientifiques peinent souvent à réunir des fonds. Nutt et Carhartt-Harris ont trouvé de nouveaux circuits. Ils ont ainsi lancé cette semaine une campagne de crowd-funding via Walacea.com, ils espèrent lever 38 000 dollars. Walacea est un genre de Kickstarter pour la recherche scientifique.

“Les scientifiques qui travaillent dans des secteurs qui vont sur ce genre de terrain controversé, ont souvent du mal à lever des fonds par les circuits traditionnels. Mais cette campagne [de financement participatif] montrera l’intérêt du grand public pour les recherches sur les effets des drogues psychédéliques.” 

La créatrice de Walacea, Natalie Jonk, a dit à VICE News que le “Crowdfunding scientifique est un excellent moyen pour le grand public de suivre directement des études qui les rendent curieux.” 

“Ce champ de recherche doit être étudié” nous dit Katie Anderson, elle a participé au financement. “Trop de choses dans le domaine de la recherche scientifique sur les drogues est passé à la trappe à cause de politiques antidrogue dans notre pays.”

Les règles strictes en matière de drogues en Angleterre tranchent avec une opinion publique qui en appelle à des réformes. Les partis politiques ne jettent qu’un oeil très vague sur les avantages de la recherche sur les drogues dans le domaine médical. Quelques initiatives, comme du côté du parti des Libéraux Démocrates, commencent à pousser pour une réforme.

Les sujets de l’étude, des volontaires, ont reçu 75 microgrammes de LSD. Une dose “modérée” d’après Carhart-Harris, mais une dose capable de plonger “dans un état de conscience profond”. 

Le scan IRM n’est que la première partie de l’expérience. On a posé des questions aux sujets tout au long des tests.

“Ce qu’ils nous ont notamment dit pendant l’expérience, c’est à quel point cela amplifie le sentiment d’empathie , et celui d’harmonie,” s’est rappelé Hulme.

“Je me souviens de dire [au scientifique] que c’était comme peler les couches d’un oignon. Quand je fermais les yeux, je pouvais presque choisir jusqu’où je voulais m’enfoncer loin dans l’expérience.”

Ensuite on les a fait passer dans un scanner de magnétoencéphalographie, qui mesure les champs magnétiques produits par les courants électriques du cerveau.

“Ils m’ont mis plein d’électrodes sur la tête, et m’ont mis dans cette pièce,”raconte Hulme. “C’était le silence complet. Je pouvais jurer entendre des cloches à vent tinter dans le silence. Je pouvais jurer entendre le silence des cloches à vent.”

Cette fois-ci, émerger du scanner pour se retrouver dans un environnement clinique, c’était “franchement un choc”, dit-il. “Mais ça restait assez agréable. Tout avait l’air complètement étrange et différent.”

La dernière partie de l’expérience consistait en des tâches à exécuter et des tests psychométriques. 

“Ils m’ont fait faire des tests psychométriques vraiment bizarres.”

“Je devais faire comme si j’avais des boîtes de conserves et je pouvais imaginer tout ce que je voulais en faire, tout ce que je pouvais trouver comme manière de les utiliser. Pareil avec un autre scénario à base d’une ficelle tombant des nuages.”

“Je ne m’en souviens pas, parce que, à ce moment, eh ben, j’étais franchement défoncé. J’étais concentré sur le maximum de créations possibles à partir de boîtes de conserve.” 

Les volontaires devaient faire l’expérience deux fois ; une fois avec un placebo, l’autre avec du LSD. Hulme nous a dit que le bruit sourd du scanner avait perdu de son attrait sans acide.

Le trip était assez court pour une prise de LSD. C’est que les chercheurs ont préféré une administration par intraveineuse plus modérée. La plupart des effets chez les sujets disparaissaient au bout de deux heures.

“Je pense que ce n’était probablement pas comparable à un trip de LSD classique,” raconte Hulme. “Parce que c’était pas le genre de prise où tu es assis à côté de ton meilleur pote ou de ta copine, où tu as une relation profonde, une conversation pseudo-intello qui te donne à tout moment l’impression de tomber sur une révélation à faire changer la Terre d’axe de rotation. Et où le lendemain tu te demandes de quoi tu parlais au juste.”

Suivez Ben Bryant sur Twitter: @benbryant