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Range Tes Disques : Black Lips

Range Tes Disques est une rubrique dans laquelle nous demandons à un groupe ou un artiste de classer ses disques par ordre de préférence. Après Korn, Slipknot, Lagwagon, Hot Chip, Manic Street Preachers, Primus, Burning Heads, le label Fat Wreck Chords, New Order, Ride, Jean-Michel Jarre, Blur, Mogwai, Ugly Kid Joe, Anthrax, Onyx, Christophe, Terror, Katerine, Redman, Les Thugs, Moby, Les $heriff, L7, Descendents, Teenage Fanclub, Dinosaur Jr, Kery James, Brujeria, Ludwig Von 88, Étienne Daho, Loudblast, Pavement, Phoenix, Afghan Whigs et !!!, c’est au tour des Black Lips de classer leurs disques. On a demandé à leur chanteur/guitariste Cole Alexander de les remettre dans l’ordre, de celui qu’il trouve le moins bon, à celui qu’il considère comme le meilleur.


Au moment où je l’appelle, Cole Alexander dort dans le tour van des Black Lips. Le genre de détail qui, en général, signifie que l’interview va être repoussée à un autre jour – sauf que là, Matt, le tour manager du groupe, a décidé de faire office de réveil. « Debout ! On t’attend pour classer les albums des Black Lips ! » crie-t-il au chanteur/guitariste des flower-punks d’Atlanta. Lorsqu’il me répond, Alexander baille à s’en décrocher la mâchoire, mais il est suffisamment réveillé pour relever le défi.

Les Black Lips viennent de sortir leur 8ème album, Satan’s Graffiti or God’s Art ? (Bon, on peut le dire : ils sont signés sur Vice Records), enregistré par Sean Ono Lennon, qu’ils ont rencontré pendant la session d’Arabia Mountain, en 2011. « On avait déjà un petit peu travaillé avec lui avant. Mark Ronson nous l’avait présenté, et c’est parti de là » explique Alexander. « J’étais présent pendant l’enregistrement de l’album des Fat White Family, qu’ils ont fait dans son studio [Songs For Our Mothers, paru en 2016]. J’ai discuté avec lui de l’éventualité qu’il enregistre notre album, et il était partant. Il a apporté une musicalité inédite pour nous. Ça a été un grand pas en avant, techniquement. Il nous a expliqué comment structurer un morceau, et exploiter au mieux nos compétences. Il nous a vraiment poussé en avant, jusqu’à un niveau qu’on aurait jamais pu atteindre techniquement, même il y a 5 ans. »

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Satan’s Graffiti or God’s Art? est le premier album du groupe paru depuis le départ des membres de longue date Ian St. Pe et Joe Bradley, en 2014. Même s’il s’agissait d’une séparation à l’amiable, elle a marqué la fin d’une époque qui les a vu devenir l’un des groupes les plus emblématiques de sa génération. « Ça a vraiment été dur de perdre Ian et Joe, mais en même temps, c’est le genre de chose qui te permet d’évoluer » explique-t-il. « Donc être rejoints par Oakley [Munson] et Zumi, et Jack [Hines], et puis Saul [Adamczewski] aussi, ça nous a fait comme une sorte de renaissance. »

La légende des Black Lips est largement fondée sur leur attitude sur scène – faire péter des feux d’artifices, gerber, pisser sur le public et/ou dans leurs propres bouches, se foutre à poil, se rouler des pelles ou lâcher une poule vivante dans la foule ne sont qu’un aperçu du genre de conneries qu’on leur prête, depuis des années – mais leur réputation, d’être imprévisibles et souvent dangereux, a tendance à éclipser le fait qu’ils ont accumulé une impressionnante collection d’albums de garage sauvagement imaginatifs.


7. Underneath The Rainbow (2014)

Noisey : Pourquoi est-ce que tu le places en dernière position ?
Cole Alexander : Je pense qu’on traversait une phase de reconstruction. On avait un peu la tête ailleurs. Mais ce n’est pas que je l’aime pas ou quoi, hein.

Cet album sonne assez différemment de son prédécesseur, il beaucoup plus cru. Est-ce que ça a été une réaction au son plus léché de Arabia Mountain ?
Je pense qu’avec Arabia Mountain, on s’est essayé à un son plus clean, pour que ça soit plus accessible. Et puis je crois qu’ensuite on a réalisé que ça ne nous convenait pas vraiment.

C’est Partick Carney des Black Keys qui a produit cet album. Qu’est qui vous a poussé à bosser avec lui ?
Ouais, on a enregistré à Nashville. Ça a été super marrant. C’était la première fois que j’enregistrais à Nashville. Il avait travaillé avec Danger Mouse, etc. et il avait plein de synthés trop cool. On avait jamais utilisé ce genre de trucs avant. Et on a aussi bossé plus efficacement, avec lui.

Ça a été votre dernier album avec Ian et Joe. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Et bien, ça faisait 16 ans qu’on jouait ensemble, j’imagine qu’ils ont juste eu envie d’essayer autre chose. Ils ne voulaient pas passer leur vie à faire la même chose. Je ne leur en veux pas. Donc on s’est restructurés, en quelque sorte.

Qu’est-ce qui a poussé Jack Hines à revenir dans le groupe, dix ans plus tard ?
Il bossait dans une usine et il était prêt à revenir.

Le morceau « Make You Mine » n’est pas vraiment le genre de truc que la plupart des gens attendent de Brent Hinds [guitariste de Mastodon, qui participe à l’album].
Il a beaucoup de racines en commun avec nous. Et c’est un vrai pote, en plus de ça, c’est pour ça qu’on a bossé avec lui.

Vous avez ouvert pour Mastodon, une fois, je crois…
Ouais, ouais. Je ne crois pas que leurs fans nous aient trop aimés. Ils nous lançaient des bouteilles. Les fans de metal sont un public difficile.

Est-ce que vos propre fans ne vous lancent pas aussi des bouteilles dessus ?
Ça arrive, mais cette fois-là, c’était plutôt mal intentionné. Quand nos fans nous balancent des bouteilles, c’est avec amour, alors que là, c’était de la haine. Mais on adore Mastodon. On a adoré jouer avec eux, même si ça n’a pas été facile de gagner leur public. Mais je crois qu’on en a convaincus quelques-uns, ceci dit.

6. Good Bad Not Evil (2007)

Je pense qu’il fait partie des préférés des fans, mais on s’était mis en tête de le produire nous-mêmes… On est bien meilleurs aujourd’hui qu’on ne l’était à l’époque. Les chansons sont bonnes, mais la production est très limitée.

Je me suis toujours dis que « Veni Vidi Vici » a été le morceau qui m’a fait réaliser que les Black Lips étaient plus qu’un simple groupe de garage.
Ouais, je suis d’accord. On n’avait jamais réellement utilisé de loops avant ça, et ça nous plaisait que ça fasse un peu hip-hop. C’était super excitant.

Est-ce que c’est vrai qu’American Eagle [chaîne de boutiques de vêtements aux USA] vous ont demandé de transformer « Bad Kids » en « Rad Kids » pour eux ?
Ouais, ouais, ils voulaient qu’on fasse ça. On s’est dit que ça pourrait être tellement débile que ça deviendrait marrant, et qu’on aurait pu se faire bien payer, mais c’était quand même un compromis un poil trop grand pour notre intégrité artistique.

5. Black Lips! (2003)

Cet album, c’était nous en train de nous découvrir en tant que groupe. Le groupe était vraiment jeune, et face à une infinité de possibilités. C’est une situation que tu ne retrouves jamais par la suite.

Un jour, tu as déclaré à NPR : « Quand on a commencé, on était tellement mauvais qu’on a du compenser en travaillant le côté performance. » Est-ce que tu entends ça, quand tu écoutes ce disque ?
Pas vraiment, mais je pense que si tu nous revoyais en live à l’époque, tu pourrais peut-être te dire ça, oui. Je ne devais même pas connaître tous les accords de guitare de base quand on a fait ce premier album. J’imagine que j’en savais juste assez pour faire un disque.

Vous avez toujours eu la réputation d’être un super groupe de scène. À quel moment c’est devenu à ce point important pour vous ?
Je crois qu’on a toujours plus ou moins été comme ça.

Cet album est sorti à une époque où le garage rock était entrain de renaître. Est-ce que vous avez eu le sentiment de faire partie de ça ?
J’ai l’impression qu’on était là pendant cette vague garage, mais qu’on l’a un peu ratée. Je pense qu’il fallait être à New York. Ça a été plus difficile pour nous, en étant à Atlanta. Mais beaucoup de ces groupes ne faisaient même pas du garage. Comme les Vines – ils sonnaient plutôt comme du grunge réchauffé. Pour moi, c’était ce qui venait de Detroit à l’époque, comme les White Stripes, qui était du garage. Il n’y avait pas beaucoup de garage à Atlanta. Il y avait les Subsonics et nous.

4. Arabia Mountain (2011)

Celui-là, on ne l’a produit nous-même. D’un point de vue commercial, c’est un des meilleurs. C’est un album solide. J’ai vraiment adoré travailler avec Mark Ronson. Il m’a vraiment appris beaucoup de choses. Il m’a expliqué comment faire pour que chaque chanson ait quelque chose d’unique. C’est un truc auquel j’essaie de me tenir depuis que j’ai eu l’honneur de bosser avec lui. Ça a montré à quel point il est éclectique ; il est capable de faire un album de pop comme un album de garage brut, et pour moi, ça montre juste toute sa classe en tant que producteur.

Tu l’as qualifié d’album « le plus commercial » des Black Lips.
Je crois que ça nous semblait être le bon moment et le bon endroit pour tenter le coup.

Est-ce que c’est vrai que vous avez proposé à Dr. Dre de le produire ?
Non. Je crois qu’on a juste balancé quelques noms pour la blague, pour voir si quelqu’un nous répondrait. Et Mark Ronson a été intéressé.

Lockett Pundt, de Deerhunter, a aussi produit quelques morceaux. Pourquoi travailler avec lui, alors que vous aviez Mark Ronson ?
On voulait faire quelques trucs plus bruts, sur un 4 pistes, et Lockett avait le matos qu’il fallait pour ça. Il voulait vraiment nous rendre service.

Dans les crédits de l’album, il est écrit que tu joues du crâne humain.
Ouais, je l’ai chopé chez Obscura, à New York. Je l’ai utilisé comme une chambre d’écho. C’était un truc assez naturel. On aime fricoter avec l’occulte.

Il y a un morceau qui s’appelle « Dumpster Dive » sur l’album. C’est quoi, le meilleur truc que vous ayez trouvé dans une poubelle ?
Très bonne question. Hmm… Une fois, il y a longtemps, notre batteur Joe a trouvé une guitare hawaïenne lap steel des années 40. Une autre fois, j’ai trouvé des milliers de pastilles de javel pour urinoirs, avec le visage de Ben Laden dessus. Elles étaient mal foutues, parce que quand tu pissais dessus, l’autocollant faisait rebondir la pisse vers toi. Donc c’était un peu comme si Ben Laden te crachait de la pisse partout dessus. C’était un retournement de situation ironique très drôle.

3. Let It Bloom (2005)

Ça a été l’album qui nous a fait connaître, la première fois que beaucoup de gens ont entendu parler de nous. Nos deux premiers albums étaient plutôt passés inaperçus. Ça a été un changement total dans notre carrière.

Let It Bloom semble avoir représenté un gros pas en avant pour le groupe. Est-ce que vous avez eu l’impression de devenir de vrais songwriters avec ce disque ?
Je sais qu’il fait partie des préférés de beaucoup de fans, pour je ne sais quelle raison. Je pense que la production de Mike McHugh était vraiment parfaite pour notre son, et ce qu’on a fait sur 4-pistes avec King Khan était juste totalement naturel pour nous. Je pense que ça a été un tournant autant pour le songwriting que pour la production.

Le titre initial de l’album était Last of the White Niggers [Les Derniers Nègres Blancs]. Avec le recul, vous devez être soulagés d’avoir opté pour Let It Bloom ?
On a envisagé de l’appeler comme ça. C’est une citation de Lester Bangs, en fait. On a souvent été mêlés à des controverses débiles. Ces dernières années, on a donné du sens à ce qui pouvait être simplement maladroit, et ça m’attriste vraiment, parce qu’en aucun cas je ne voudrais passer pour quelqu’un d’intolérant. Nous ne sommes absolument pas un groupe politiquement correct. Je pense que les gens acceptent le fait que nous soyons rustres et malpolis. Mais ne pas utiliser ce titre a été une des rares bonnes décisions qu’on ait prise. Je sais que Lester Bangs ne disait pas ça négativement. Les temps ont changé. Un morceau comme « Rock and Roll Nigger » [de Patti Smith], n’est pas raciste, c’est tout le contraire. Mais ça ne passerait pas vraiment, aujourd’hui.

2. 200 Million Thousand (2009)

Ça a été la première fois qu’on a enregistré dans notre propre studio. On savait comment jouer, on était à notre top. Je ne l’aimais pas vraiment, à sa sortie. J’avais l’impression que ça ne collait pas.

Quand on l’écoute, on se dit qu’il aurait du sortir après Let It Bloom.
Ouais. Si on avait fait Arabia Mountain après Good Bad Not Evil, peut-être qu’on aurait été plus gros. Parce que celui-ci était plus lo-fi, c’était un pas en arrière d’un point de vue commercial.

Ça a été l’album où vous êtes partis en Inde, et où tout est complètement parti en couilles.
Ouais, je crois que j’ai montré mon cul au public, et j’ai roulé une pelle à Ian sur scène. Les actes homosexuels sont interdits là-bas – où l’étaient à l’époque en tout cas – et ça a été considéré comme de l’outrage public. Tu peux faire des années de prisons pour avoir embrassé un homme. Tous les shows suivants ont été annulés. On aurait pu être arrêtés, mais on nous a juste demandé de quitter le pays.

1. We Did Not Know The Forest Spirit Made The Flowers Grow (2004)

Pourquoi est-ce que c’est ton préféré ?
C’est notre album le plus varié, le plus crade. Il y a un morceau de jazz, un morceau classique, un morceau de rap. C’est cette diversité qui en fait un album aussi tordu. Et ça représente parfaitement les personnes qu’on est. Le chaos incarne vraiment qui on est, et c’était d’autant plus vrai à l’époque.

Est-ce que vous vous sentiez plus confiants, après avoir fait votre premier album ?
Non, pas vraiment. On manquait de budget. Je crois qu’on disposait de 500$ pour faire celui-ci, alors on l’a fait avec un gros radio-cassette, un quatre-pistes et un magnéto à bandes sur quelques titres – ce qui a bien aidé. Et il y avait le stress de ne rien savoir du fonctionnement d’un studio, ça a permis d’obtenir un résultat vraiment brut. C’est un bon exemple de ce qu’on était à l’époque.



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