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Zombi revient d’entre les morts

Quand David Byrne des Talking Heads vous donne un conseil sur le monde de la musique, vous feriez bien de le suivre à la lettre. C’est ce qu’aurait aimé faire Steve Moore, le bassiste et le claviériste de Zombi. Il a croisé Byrne dans un bar de Pittsburgh en 2004, peu de temps après que Zombi ait signé sur Relapse Records. Moore et Anthony Paterra, le batteur du duo, cherchaient à faire une carrière sérieuse avec leurs expériences musicales cauchemardesques, ils ont donc demandé conseil à Byrne. Sa réponse a été directe : « ne vous endettez jamais auprès de votre label. »

Nous sommes en 2015 et Zombi n’a pas sorti d’album depuis 4 ans. Entre 2004 et 2011, le groupe tournait au rythme soutenu d’environ une sortie par an. Mais depuis, Moore et Paterra ont enchaîné les disques et projets solo, sans jamais évoquer la possibilité que sorte un nouvel album de Zombi. Le groupe a d’ailleurs arrêté de donner des concerts en 2007 et n’est pas réapparu sur scène depuis – à l’exception d’une courte tournée avec Goblin en 2013. Tout ça laissait à penser que Zombi s’était doucement éteint, ne sortant de leur retraite que temporairement pour jouer avec leurs héros. C’était presque le cas. Nous sommes allés demander à Moore de nous raconter tous les détails de cette histoire et de nous donner au passage quelques indices sur leur prochain album, Shape Shift.

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Noisey : 4 ans se sont écoulés depuis la sortie du dernier album de Zombi. Que s’est-il passé exactement ?
Steve Moore : Il y a 10 ans, on était très actifs, on tournait beaucoup et on sortait presque un album par an. Mais les albums Spirit Animal et Escape Velocity, qu’on a sortis respectivement en 2009 et 2011, étaient un peu différents. Ils ne ressemblaient pas à des albums de Zombi. On ne les avait pas composés ni enregistrés comme à notre habitude. On les a écrits chacun de notre côté en s’échangeant des fichiers à distance. Donc même si des albums sortaient, on a l’impression que ça fait 8 ans et pas 4 qu’on est en stand-by.

Hormis vos concerts en première partie de Goblin en 2013, vous n’avez participé à aucune tournée depuis 2007. C’était volontaire ?
C’est plus une affaire de circonstances. En 2002-2003, on a commencé à organiser des tournées régionales, et on s’est lancés là-dedans à temps plein de 2004 à 2006. On a donné énormément de concerts mais ce n’était pas simple parce qu’il y avait un public très restreint pour ce qu’on faisait à l’époque. Les gens nous ont connus par le biais de nos concerts, mais on était toujours en première partie de groupes comme Isis. Certes, ils ont un public assez ouvert d’esprit, mais on n’a pas rencontré beaucoup de succès en ouvrant pour ce genre de groupes au milieu des années 2000. À l’époque, ça nous paraissait plus subversif de jouer ce genre de musique. Si on était apprécié par ne serait-ce que 20 % du public qui s’était pointé, pour nous c’était une réussite. On ne se faisait pas beaucoup d’argent puisqu’on était qu’un groupe de première partie. On a fini hyper endettés. Àprès notre tournée avec Trans Am et Psychic Paramount au printemps 2007, on s’est dit que c’était le bon moment pour arrêter.

Vous avez fait quoi à partir de ce moment-là ?
J’ai trouvé un job à temps plein et j’ai fait des remixes, ce genre de trucs, pour rembourser mes dettes. Ça a pris du temps. En plus de ça, Zombi était très endetté auprès de Relapse Records. On avait pris des avances sur nos tournées à chaque fois que c’était possible. On leur commandait du merch, notre ardoise gonflait jour après jour. Et un jour, on a réalisé qu’on devait près de 15 000 dollars à Relapse. Pour un groupe qui a du succès, ce n’est pas une grosse somme, tu sors un bon album et ça te permet de rembourser. Mais on n’était pas un groupe à succès, c’était déjà difficile pour nous de sortir de nouveaux albums, vu qu’on savait qu’on ne se ferait aucune thune dessus. De plus, à l’époque j’habitais à Nyack, juste à côté de New York, et Tony vivait à Pittsburgh. J’ai dû déménager à New York pour trouver du taff. On voulait toujours faire des trucs avec Zombi mais c’était dur de s’y mettre sérieusement. C’était juste intenable.

C’est pour cette raison que toi et Tony n’avez pas enregistré Spirit Animal et Escape Velocity ensemble.
Oui. On n’a pas pris une thune à Relapse. On a enregistré ces albums de notre côté, et ça nous a pris un bon bout de temps. On n’a pas non plus fait de concerts. [Rires] Avec ces albums, on a essayé de se sortir du pétrin dans lequel on s’était mis, de rembourser nos dettes. On s’est dit que Zombi avait peut-être fait son temps. C’était difficile de continuer un groupe, dans ces circonstances. C’est cette tournée avec Goblin qui nous a donner envie de nous y remettre.

C’était vraiment étonnant de vous voir tourner avec Goblin, dans le sens où vous n’aviez pas donné de concerts depuis longtemps.
On avait échangé des démos pendant plusieurs années, mais rien qui ne nous plaise plus que ça. Ça ne nous convenait pas. Quand on nous a proposé cette tournée avec Goblin, on a pris au moins dix minutes pour se dire qu’on allait accepter. [Rires] Même si on avait un peu perdu la forme, on savait que c’était ce qu’il fallait faire. Vu que nos deux dernières sorties étaient essentiellement des albums studio, on ne pouvait pas les jouer en live. C’était soit trop chiant, soit trop compliqué à mettre en oeuvre à deux. Puisqu’on avait aucun nouveau morceau et qu’on ne pouvait pas jouer ceux de nos derniers albums, on a décidé de faire comme ces groupes qui tournent en reprenant leurs albums « classiques ». On a donc rejoué notre set-list de la tournée 2005 et on s’est éclatés. Et quand l’heure est venue d’enregistrer un nouvel album, on savait qu’il fallait qu’on le bosse ensemble, dans le même studio, comme avant. Je me suis installé dans le centre de l’état de New York, Tony venait me voir et passait quelque jours chez moi. On se branchait dans mon garage et on jammait. Tony plaçait son magnéto dans un coin de la pièce et on jouait pendant des heures.On fumait un peu d’herbe. C’était comme au bon vieux temps.

Toute cette histoire, c’est un peu comme une mise en garde. Tu as finalement réussi à rembourser tes dettes ?
Oui, c’est tout à fait ça. [Rires] Et oui, je suis venu à bout de mes dettes. On a fini de rembourser Relapse il y a seulement deux ans. C’est marrant, ça me rappelle l’une des mes rares rencontres avec une célébrité. C’était vers 2004, alors que j’habitais encore à Pittsburgh et qu’on venait de signer avec Relapse pour notre première sortie officielle, Cosmos. Un soir, David Byrne jouait à Pittsburgh et je l’ai croisé dans un bar, le Gooski’s, dans le quartier de Polish Hill. Il était venu boire des bières après son concert. Je n’y avais pas assisté, je buvais juste des coups dans ce bar. C’est un type tellement intense, il a une sorte d’aura autour de lui. Tout le monde parlait de lui dans le bar, mais personne n’osait aller lui parler directement. À un moment, il s’est levé pour aller commander un verre et j’en ai profité pour l’aborder et lui demander s’il avait un conseil pour réussir dans le monde de la musique, quand on se donne vraiment pour son groupe. Après un court moment d’hésitation, il m’a répondu : « Ne vous endettez jamais auprès de votre label. » [Rires] Et il ne blaguait absolument pas à ce moment-là. C’était un conseil sérieux. Je l’ai remercié, on s’est lancés et on a fait exactement l’inverse ! [Rires]


Photo – Dave Cerminara

Quelques années après que Zombi ait arrêté de tourner, les synthétiseurs et les musiques de films d’horreur sont redevenus à la mode. Ça a eu un effet sur vous ?
Ouais. Plein de nouveaux groupes se formaient et les gens citaient John Carpenter parmi leurs influences. OneohtrixPointNever utilisait tous ces synthés analogiques. Puis le public nous a redécouvert. Les gens qui aimaient ce genre de trucs creusaient le sujet et finissaient par mettre la main sur nous. Aujourd’hui, il y a des tas de groupes qui se réclament de Fabio Frizzi et Goblin. C’est ok, mais nous on avait essayé de prendre ces idées et de les faire évoluer dans un environnement différent — en imaginant, d’une certaine façon, ce que donnerait la rencontre entre Trans Arm et John Carpenter. On n’essayait pas de recréer quelque chose. C’est important que ce soit dit, parce que c’est possible que des gens qui nous découvrent aujourd’hui se fassent une idée complètement fausse de nous. Ils découvrent le groupe à un moment très bizarre de notre carrière. Les gens nous voient comme un truc qui ressemble à Goblin ou à John Carpenter — il y a une influence évidemment, mais on est un groupe, tu vois ? Je pense qu’on vient plus du math rock ou du post-rock. On a une vraie batterie et une vraie basse. On emprunte juste le langage des musiques de films d’horreur. On est plus proche d’un groupe comme Battles et des autres groupes de rock instrumental. On a juste une vibe John Carpenter. Mais je pense que beaucoup de gens se méprennent à notre sujet à cause de notre nom ou de ce qu’ils ont pu lire dans la presse. Un public plus large pourrait apprécier notre groupe, mais l’influence des films d’horreur pourrait en refroidir certains.

Tu penses qu’il y a moyen d’agrandir votre public sans pour autant perdre les fans qui sont venus à vous en raison de ce rapport à l’horreur ?
Je ne veux m’éloigner de personne, mais je pense que le nouvel album sera enfin l’occasion pour les gens de se faire un avis objectif sur nous. On va donner des concerts et j’espère que les gens viendront nous voir, parce que c’est la meilleure manière de se faire une opinion. Quand on a commencé notre carrière, Goblin ne tournait pas. Plein d’autres groupes travaillaient repliés sur eux-mêmes et sont arrivés à la même conclusion, mais cette musique n’était pas en vue. Tourner avec Goblin a été une de nos plus belles opportunités parce que ça a vraiment mis en lumière les différences entre nos deux groupes. Ça a montré qu’on était un groupe différent. Je suis prêt à jouer avec n’importe quel genre de groupes parce que j’estime qu’on n’est à notre place dans aucune scène particulière. Le seul problème, c’est que maintenant je suis vieux et que j’ai des enfants, donc je ne peux pas m’absenter de chez moi aussi longtemps. [Rires]

Vous avez quelques concerts de prévu, dont un au Housecore Horror Festival.
Ouais, j’ai hâte de commencer cette tournée parce qu’on a des concerts de prévu dans des endroits dans lesquels on a déjà joué par le passé et dont on garde plein de bons souvenirs. Pinkish Black, un groupe que j’aime beaucoup, sera chargé de faire notre première partie. Après notre tournée pour Goblin, en première partie, j’ai fait une courte tournée avec Goblin, aux claviers, et Pinkish Black assurait la première partie. On a pas mal traîné avec eux, j’ai vraiment eu de bons rapports avec ces types. On vient presque du même endroit, et on a reçu la même éducation.

En parlant de ça, tu as travaillé au centre commercial de Monroeville en Pennsylvanie, là où Dawn of the Dead a été tourné en 1977 ou 1978.
Ouais, j’ai grandi à Monroeville, tout le monde allait traîner au centre commercial le week-end. Quand j’ai eu l’âge de chercher un travail, je me suis dit que c’était l’endroit idéal pour bosser parce que, dans tous les cas, j’aurais fini par traîner là-bas. J’ai travaillé dans un magasin très marrant, qui s’appelait Natural Wonders. Je crois que c’était une chaîne qui existait dans la région. C’était un de ces magasins New Age, dans lesquels tu pouvais te procurer des cristaux et des CDs de musique de relaxation. C’était complètement bidon mais en même temps, c’était cool parce que j’avais accès aux couloirs dans lesquels ils avaient tourné beaucoup des scènes du film.

Est-ce qu’ils ont érigé quelque chose en souvenir du film dans le centre commercial ?
Je ne sais pas. Ça fait longtemps que je n’y suis pas retourné. Mais dans les années 80, tout le monde s’en rappelait, parce que ça avait fait beaucoup de bruit. Là où j’ai grandi, l’univers de l’horreur était très important puisqu’on avait George Romero et Tom Savini [maître des effets spéciaux] — tous ces types sont de Pittsburgh. D’ailleurs tous les films de Romero ont été tournés à Pittsburgh, comme Martin et Creepshow. Tu te souviens de Innocent Blood [un film de John Landis sorti en 1992] ? Il a principalement été tourné à Monroeville. J’ai grandi juste à côté de l’aéroport qu’on voit dans Dawn of the Dead.

Récemment tu as composé et jouer la musique du film d’horreur belge, Welp. Tu peux nous en parler ?
Faire la musique d’un film d’horreur, c’est un rêve de gosse et c’est cool de pouvoir faire ça et de ne pas toujours avoir à mettre mon amour de ces musiques de côté. Je peux vraiment me laisser aller quand je compose la musique d’un film d’horreur alors que j’ai toujours été plus prudent avec Zombi. Faire ça pour un film, ça a été thérapeutique d’une certaine manière. [Rires] Mais c’est un film très sombre, il est très bien filmé et les acteurs sont bons. Il y a des trucs bien flippants. C’était trop cool de travailler sur ce film, j’espère que les gens iront le voir. Je ne peux pas en dire plus, mais il y a des trucs dans ce film qu’on ne verrait jamais aux Etats-Unis. Si vous trouver que les films d’horreur américains sont un peu convenus et précieux, allez le voir !

C’est étrange mais il n’y a pas ta musique dans le trailer.
[Rires] Ouais, tu as vu celui avec la chanson de feu de camp. C’est un truc que j’ai appris depuis que je compose des bandes-originales pour films d’horreur : ta musique n’est jamais dans le trailer. Je ne pourrai pas te dire pourquoi mais je suppose que c’est parce que les musiciens galèrent encore à boucler la musique quand le trailer est monté.



J. Bennett a interviewé Zombi en 2006, à une époque où la Terre était encore peuplée de dinosaures.