Dans notre série « La nouvelle vague », on part à la rencontre de gens qui font le surf en Belgique et on s’essaie à la pratique – soleil ou pas.
La Belgique n’est pas le plus grand pays en termes de taille, mais le royaume regorge de plaisirs cachés, de bonheurs inattendus et d’activités atypiques. Cependant, s’il y a bien une chose qu’on ne pourrait pas forcément imaginer faire en son sein, une activité qu’on serait incapable de lui associer, ce serait bien le surf. On va pas se mentir, la discipline est généralement associée aux corps bronzés, aux plages de sable fin et aux vagues titanesques. C’est pas forcément la carte postale de notre côte belge. Pourtant, contre toute attente, ce sport se développe depuis plus d’une vingtaine d’années sur le littoral grâce à des stakhanovistes de la vague et de la houle.
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Dans mon périple pour comprendre un peu mieux cette hype-to-be, j’ai rencontré Oscar Gonzalez Torres (38 ans), un shaper, un artisan qui construit de A à Z une planche de surf dans son atelier, Surfer’s Hell. Il m’avait contacté suite à la série photo qu’on avait publiée sur le surf en Belgique. Ça fait plus ou moins 4 ans que ce Belgo-espagnol originaire de Braine-l’Alleud a posé son matos à Ostende pour y monter son propre atelier. Habitant d’abord dans son camion aménagé, il a su prendre son mal en patience tel un surfeur qui attend sa vague pour kick out la swell. Contre vents et marrées, il essaye aujourd’hui de vivre de sa passion, en fabriquant des planches de passionné pour des passionné·es. Situé en plein cœur du quartier des poissonnier·es, son atelier est devenu l’une des références locales de l’engouement qui est en train de prendre autour du surf belge.
Je l’ai rencontré pour comprendre comment, dans l’enfer des surfeur·ses (c’est lui qui le dit), il arrive à tirer son épingle du jeu, sans oublier la concurrence des multinationales qui s’implantent sur le marché.
VICE : Comment t’en es venu à fabriquer une board ? Ça surfe à Braine-l’Alleud ? Oscar : C’était il y a une quinzaine d’années, parce que j’avais pas vraiment le choix. J’avais déjà acheté la seule planche qu’il y avait à Braine-l’Alleud. À l’époque, y’avait pas trop de hype autour de la discipline, et encore moins en Wallonie. J’étais arrivé à la limite de cette planche et j’avais envie de progresser, du coup j’ai fabriqué ma propre planche.
**Comment t’as appris à faire ça ?
**J’ai fait beaucoup de travail d’atelier pour en arriver là. J’ai travaillé dans un atelier de piscine, de couverture de sécurité pour les piscines… J’ai fait un tas de métiers. À chaque fois que c’était mon anniversaire, je disais à mes proches : « Cotisez-vous, je m’achète un pain de mousse. » À un moment donné, j’ai voulu me spécialiser et j’ai commencé à voyager. Je suis parti en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Indonésie et aux États-Unis pour essayer de me former, ce qui n’a pas été facile parce que le métier de shaper, c’est un peu un métier secret où chacun·e fait ses armes un peu soi-même. La plupart du temps, tu commences en nettoyant l’atelier. Jusqu’au jour où les gars réalisent que t’es encore là et se disent « OK celui-là, il s’accroche », là ça commence. J’ai visité beaucoup d’ateliers et j’ai trouvé un shaper qui m’a un peu pris sous son aile en Australie, mais ça n’a pas duré super longtemps. Je me suis vite rendu compte qu’il fallait faire ses armes soi-même.
**Du coup t’es revenu faire ton truc ici ?
**Ouais, je me suis dit : « OK, le plus difficile ça reste le travail de la résine parce que t’as pas un contrôle absolu comme avec un rabot ». Donc j’ai commencé à me former en Belgique. J’ai fait des formations d’aéronautique et de là, j’en suis arrivé à travailler chez Sabena Aerospace à Zaventem, où on réparait les avions en composite. C’était un métier cool sauf qu’au bout d’un an et demi j’en ai eu marre, du coup je suis parti. Je suis d’abord arrivé à Zeebruges et j’ai trouvé un job dans un atelier de bateau où on travaillait le polyester. Là, je me suis spécialisé et puis, à force de poster des photos des bateaux et des trucs comme ça, y’a un shaper aux Pays-Bas qui a vu que je ponçais pas mal. Il m’a appelé et m’a dit qu’il avait besoin d’un sander, c’est-à-dire une personne qui fait les ponçages. J’ai un peu travaillé avec lui là-bas et je me suis rendu compte que ce qu’il faisait aux Pays-Bas était tout aussi faisable ici, en Belgique. Et donc je suis encore revenu et je me suis lancé à 100%. J’avais complètement arrêté de travailler à côté, je me suis dit que le seul moyen de faire avancer un business, c’était d’y être investi à fond.
« Ostende reste quand même le meilleur spot ici, en Belgique. »
**Et t’as direct pu vivre de ta passion ?
**Pas vraiment… T’as le dur retour de la réalité : on n’est pas un pays de surf. J’ai vécu assez modestement. J’ai finalement pas eu d’autre choix que de reprendre un travail, à mi-temps. Mais c’est bien, je fais ce que j’aime. Bon, je dois juste me lever à 5 heures du matin…
Mais j’arrive pas à comprendre, il sort d’où l’engouement pour le surf en Belgique ? Déjà, visuellement je trouve que la publicité a fait beaucoup. Dans mon parcours, j’ai aussi fait des cours du soir en tourisme. Ça m’a permis de remarquer qu’il y avait, dans les arrêts de métro, de plus en plus de pubs où on voyait une plage, un mec avec une planche de surf… Je pense que toute cette promotion a donné envie aux gens. Après, t’as eu le développement des réseaux sociaux qui ont appuyé tout ça. De là, y’a une fédération de surf qui est née et qui a commencé à promouvoir cette discipline y’a peut-être bien une vingtaine d’années.
En Belgique ?
Ouais, après, tout ce qui est compétition… je suis pas trop dedans. On a eu plusieurs champion·nes ici, dont un gars qui a été se frotter aux meilleur·es du monde, et c’était un Belge. Je pense que côté flamand, ç’a donné envie aux gens de surfer. Après, pourquoi Ostende ? Ça reste quand même le meilleur spot ici, en Belgique. Du fait de sa géographie, le mouvement du sable, le vent, les vagues, les digues qui altèrent les courants…
**Et concrètement, tu produis quoi dans ton atelier ?
**Je fais de la réparation et de la fabrication. J’essaie d’inviter une ou deux fois par an des shapers de l’étranger pour faire des shaping shows. Les shapers viennent, fabriquent une planche et j’ouvre les portes de l’atelier à tout le monde. Après, je prends le relais, je fais tout le travail de fibre de verre, de finition et la planche est vendue au magasin. Je fais ça dans l’espoir que les gens réalisent en fait que si une planche de surf est à ce prix-là, c’est parce qu’il y a des heures de travail et de savoir-faire derrière. C’est aussi un peu dans le but d’essayer d’éduquer les gens et leur dire qu’on est pas non plus sur un budget beaucoup plus cher que dans une grande enseigne. Y’a peut-être une centaine d’euros de différence et encore, parfois c’est même plus cher ailleurs. Mais la qualité sera toujours meilleure ici, que ce soit chez moi ou chez d’autres shapers. Sinon, je propose aussi un autre service : tu peux venir fabriquer ta propre planche. Donc si t’as les compétences, tu peux louer les pièces de l’atelier.
« Ça ne me dérange pas la solitude, je préfère ça même. »
Et entre shapers, ou avec d’autres personnes qui font partie de ce milieu, tu dirais qu’il y a une vraie notion de communauté ? C’est difficile à dire. Pour moi qui suis francophone, c’est un peu plus compliqué. Je sais que certains shapers s’entendent très bien entre eux. J’ai essayé d’organiser des shaping shows avec des locaux mais on m’a toujours dit « Ouais ouais, on verra ». C’est difficile, t’as toujours ces mêmes problèmes en Belgique.
J’ai l’impression que t’as quand même cette image de la personne qui se prépare un peu toute seule, qui fabrique ou entretient sa planche toute seule… C’est pour ça que je te pose cette question. Est-ce que tu dirais que le métier de shaper c’est très solitaire en fin de compte ? Oui et non. Moi, comme je me suis éduqué au surf tout seul, j’ai toujours été solitaire dans l’eau. Quand j’ai commencé, j’avais un pote à Braine-l’Alleud qui surfait. Pendant 4 ans, il m’a emmené tous les week-ends à la mer, qu’il y ait des vagues ou pas, qu’il y ait de la neige, du vent… on s’en foutait. On voulait juste être dans l’eau, passer du bon temps. Aujourd’hui, il vit à la Réunion. Ça ne me dérange pas la solitude, je préfère ça même. Après, je me suis constitué un petit groupe d’ami·es ici. De temps en temps, on va surfer ensemble, c’est cool. On se motive les un·es les autres. Mais c’est difficile de se coordonner pour les sessions, l’un·e travaille le matin, l’autre l’après-midi donc parfois c’est difficile de se joindre.
**T’as pas mal voyagé pour te former et surfer les meilleures vagues. C’est quoi les spots qui t’ont le plus marqué ?
**Je vais commencer par la Belgique. Tout d’abord Blankenberge, parce que c’est là que j’ai appris à surfer. Ça restera à jamais gravé en moi. Mais ici, à Ostende, quand j’ai découvert les spots, c’était un truc exceptionnel. Le port n’était pas encore construit. Tout était complètement différent, t’avais juste deux surfeurs dans l’eau et ce fameux rocher avec inscrit « No tourists, No surfers ». Avec mon pote, on a pris peur et on est partis en se disant on se cognerait sur les rochers si on surfait ici. Par la suite, j’ai appris que c’était la commune qui voulait pas que les gens surfent ou que les touristes se baignent. Mais le spot est dingue. Au niveau international, c’est difficile à dire parce qu’il y a des beaux spots partout, que ce soit pour la qualité de la vague ou la qualité de l’endroit. Moi, je viens des Asturies ; déjà là, c’est magnifique pour surfer, t’as la montagne et t’as la mer. Mon village se trouve près de Salinas, un spot mondialement connu pour le longboard. Et puis, s’il y a bien deux endroits qui m’ont marqué dans le monde, c’est la Nouvelle-Zélande et la Californie.
Parfois les adeptes de surf pratiquent aussi d’autres sports de glisse. Toi t’es resté au surf ou d’autres choses te bottent aussi ? J’ai toujours voulu faire du skate mais j’ai toujours été hyper mauvais. Par la suite, j’ai arrêté parce que tomber en skate ça veut dire se casser une main ou une cheville, et en tant qu’indépendant c’était impossible. Puis, un peu comme tout le monde, j’ai touché au ski, au snowboard… Mais je me suis aussi rendu compte que c’est beaucoup d’argent pour rester bloqué dans une station – deux si t’as de la chance. Pour moins, je pars avec mon van et je fais le tour des meilleurs spots.
« Merci Lidl, parce que toutes les planches cheap reviennent chez moi pour être réparées : elles sont mal construites. Ça me permet d’investir dans des meilleurs matériaux pour faire de meilleures planches. »
Tu parlais de ce côté « combattre les grandes enseignes ». Pourquoi c’est important pour toi de préserver ce made in Belgique face à ces grandes entreprises qui bradent l’esprit surf ? Tu vois, tout à l’heure j’ai rendu une planche à un client. Elle a été fabriquée au Vietnam par des gens qui n’ont jamais surfé, qui sont sous-payés et sûrement mal protégés par l’industrie. Pas de masques, des gants de mauvaise qualité, et tout ça c’est très toxique. Tu vois bien la poussière qu’il y a ici, c’est déjà un gros gros fléau. Une fois que je commence avec les produits chimiques, si j’ai pas un masque avec les filtres adaptés, c’est pour tomber par terre. Voilà pourquoi. Et puis après, c’est une production tellement massive, tu peux pas avoir la même qualité qu’un petit artisan. Vouloir faire des économies sur la fibre de verre la moins chère, sur le temps de travail, sur des détails comme les ailerons, c’est contre-productif.
Et tout ça, c’est vendu à des prix exagérés. Les gens ne font pas attention aux détails. La plupart se focalisent sur telle ou telle marque parce que les pros surfent avec. La qualité, les pros s’en foutent parce qu’une fois que leur planche est cassée, des marques vont leur en envoyer 4-5 gratos. En plus, on importe jusqu’ici en Europe. C’est pas super éthique niveau environnement. C’est complètement contre l’esprit du surf. Donc mon but, c’est un peu de combattre ça oui.
**T’arrives à rivaliser ?
**Y’a un an, Lidl s’est mis à vendre des planches de surf fabriquées dans les pays de l’Est. Comment veux-tu que je rivalise face à une planche de 8 pieds qui est vendue 300 euros alors que moi je la vends 2 à 3 fois plus cher ? J’importe aussi des matériaux ; ma mousse vient d’Espagne, mais ça reste local en Europe. Mais ce qui est beau, c’est qu’il y a tellement de façons de faire des planches que tu peux toujours innover en respectant tes propres normes.
C’est beau d’avoir une discipline qui n’a jamais de fin.
Ouais, jamais de limites. Tu pourrais même chercher sur internet, les plus vieux shapers te diront à chaque fois « j’ai appris un nouveau truc ». Des fois, c’est une connerie mais qui te change la vie. Par contre, merci Lidl, parce que toutes les planches cheap reviennent chez moi pour être réparées : elles sont mal construites. Ça me permet d’investir dans des meilleurs matériaux pour faire de meilleures planches.
Et quand tu parles d’innovation dans la façon de faire des planches, tu parles de quoi ? Que ce soit dans le design ou dans les matériaux, y’a de l’innovation non-stop. Aujourd’hui, on parle de résine bio. On essaie de travailler pour que les résines soient de moins en moins toxiques. Pour les fibres, on parle aujourd’hui de fibres de lin ; le Benelux est un producteur de fibres de lin, de fibres de chanvre aussi. C’est plus éco-friendly et c’est local.
« Je trouve ça un peu dommage de voir des gens sur les réseaux sociaux qui se disent éco-responsables, vegan, respectueux de leur environnement mais qui vont acheter une merde fabriquée en Chine. »
**Même si tout le monde n’a pas les moyens, pourquoi tu conseillerais aux gens de se rapprocher davantage des ateliers locaux en ce qui concerne le surf ?
**Peut-être que je me tire une balle dans le pied par rapport à mon business, par rapport à mes concurrents ou quoi, mais je pense qu’il faut pas hésiter à aller voir les marchands locaux, que ce soit moi, d’autres shapers ou des surfshops locaux. Tous ces gens aiment le surf, plus que n’importe qui d’autre, au point d’y avoir dédié leur vie. Je trouve ça un peu dommage de voir des gens sur les réseaux sociaux qui se disent éco-responsables, vegan, respectueux de leur environnement mais qui vont acheter une merde fabriquée en Chine.
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