Deux marrons dans la gueule

Daniel Darc est mort avant-hier, le 28 février 2013, à 53 ans. Pour être franc, j’ai jamais vraiment été fasciné par celui que Libération décrit aujourd’hui comme « L’écorché vif du rock français ». Je veux dire, « Cherchez le garçon » est un classique, mais malheureusement, Daniel Darc fait partie de ces mythes français à côté desquels je suis passé.

Mon père, lui, n’est pas passé à côté de Darc, et pour cause : ils ont tous deux fréquenté le même lycée, à un an d’écart. Mon père avait 18 ans en 1978 et il est passé par pas mal de styles. De punk, il est rapidement passé blouson noir (il portait un brassard noir tous les ans le jour anniversaire de la mort d’Elvis). Un jour, il m’a raconté qu’il s’était embrouillé avec Darc devant son lycée. Je l’ai rappelé pendant ma pause déjeuner pour qu’il me raconte exactement les faits.

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Mon père, jeune

VICE : Salut Papa. T’écoutais Taxi Girl quand t’étais jeune ?
Philippe Saint-Guily : 
Ah non pas du tout, c’était pas ma musique. J’étais un rocker, j’écoutais Eddie Cochran ou Crazy Cavan. Taxi Girl, ça marchait mieux chez les nanas, c’est un peu du romantique, enfin, je sais pas trop comment on pourrait qualifier ça. Ils ont été connus très jeunes. De mémoire, ils ont du sortir leur premier single un ou deux ans après 1978, maxi. Et puis leur 33 tours, je sais pas, peu de temps après. Mais je te dis, ils tournaient déjà à l’époque, ils faisaient des petits concerts dans des boîtes parisiennes.

Tu m’avais dit que tu avais fréquenté le même lycée que Daniel Darc ?
En fait, en seconde, j’étais au lycée Carnot. Mais ça allait pas super au niveau des résultats donc mes parents m’ont mis en pension à Toulouse, chez les jésuites. Et chez les jésuites j’ai raté mon bac de 4 points. J’avais les boules, donc pour avoir mon bac, quand je suis rentré à Paris, j’ai fait une année à Balzac.

Tu m’avais raconté que tu t’étais embrouillé avec lui. C’était en quelle année ?
En 1978, si ma mémoire est bonne. En fait, j’avais un bon ami qui s’appelait Laurent Biehler, que je connaissais du lycée Carnot et qui était le clavier du groupe Taxi Girl. Et grâce à lui, j’avais croisé quelques fois le père Darc. Y’avait un autre gars dans le groupe Taxi Girl qui est mort d’une overdose quelques années plus tard, lui était pote avec un garçon qui sortait avec une fille de ma classe que j’aimais bien.

T’étais en quelle classe ?
En terminale. Alors à l’époque, Taxi Girl, ils étaient pas encore connus, ils répétaient, ils faisaient des petits concerts. Je crois qu’ils avaient fait une soirée au Bus Palladium. Ils commençaient à grimper, ils passaient pas à la radio, ils avaient pas encore sorti de disques. Donc moi, j’aimais bien cette fille et souvent, son lascar venait la chercher en compagnie du fameux Darc. Et il était habillé un peu punk rocker. Moi, j’avais ma petite réputation aussi à Balzac, donc il me regardait un petit peu de haut, il était distant.

C’était pas une grande gueule ?
Non quand même pas, il avait ce regard noir comme il a toujours eu un peu, mais depuis je me suis rendu compte que c’était un garçon plutôt gentil. Mais bon, c’est pas l’image qu’il dégageait. Et puis une fois, un samedi, à la sortie du lycée, il était là, un peu excité, les regards se sont croisés, et puis je sais pas comment c’est parti, si c’est lui oui si c’est moi qui ai commencé à lui dire des trucs comme « hé p’tit con, qu’est-ce que t’as à me regarder comme ça ? »

Ah ah.
Enfin bon, moi j’attendais que ça, une occasion pour lui rentrer dedans. Et en même temps, mon idée, c’est que je lui en voulais, mais je voulais surtout montrer à la fille que son lascar c’était un lâche et qu’il viendrait même pas aider son copain dans la merde. Effectivement, Darc s’est retrouvé dans la merde parce que je l’ai allongé. Je lui ai mis deux marrons dans la gueule, il est tombé par terre, je lui ai mis deux, trois coups de pompe et puis après j’ai arrêté parce qu’il se défendait même plus. Après, je suis allé voir son copain et devant sa copine je lui ai dit : « Donc, j’allonge ton copain devant toi et tu bouges pas ? » J’étais fier de moi. Enfin, tout ça, c’était des conneries d’adolescents.

Et ça a marché avec la fille, au final ?
Oui, oui, ça a marché. J’ai pas eu d’aventure avec elle mais voilà. Parce qu’après, elle a plus ou moins envoyé balader son lascar et elle est venue me faire du gringue et compagnie. Mais là je lui ai dit non, enfin je sais plus, je crois que l’ai jetée.

Mais du coup tu t’es pas brouillé avec ton pote Laurent Biehler ?
Non, pas du tout. Pour la petite histoire, je suis même parti en vacances chez une tante à lui sur la Côte d’Azur après que je l’ai un peu abîmé, le Darc. Lui, ça l’a fait marrer. Il m’a juste dit : « Non mais qu’est-ce que tu lui as fait, t’es un monstre ou quoi ? T’es con, maintenant il va mettre deux semaines pour récupérer avant de pouvoir rechanter. »


REP Daniel Darc