Article mis à jour mardi 6 décembre :
Alors que le journal De Morgen annonçait que le détenu Frank Van Den Bleeken devait être euthanasié dimanche 11 janvier, information largement reprise par les médias le lendemain, le ministre de la Justice Koen Geens a finalement annoncé ce mardi 6 janvier que les médecins qui devaient dans un premier temps se charger de l’euthanasie du criminel ont « décidé de ne plus continuer la procédure ». Le ministre n’a apporté aucune précision supplémentaire ajoutant simplement que « les motivations personnelles de cette décision relèvent du secret médical ». Le criminel sera transféré au Centre Psychiatrique légal de Gand, spécialisé dans le traitement des troubles psychiques graves.
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Emprisonné en 1989 pour un viol suivi d’un assassinat, Van Den Bleeken est placé dans un asile pendant 7 ans. À sa sortie de l’institution psychiatrique, il viole à nouveau 2 jeunes filles de 11 et 17 ans puis une commerçante de 29 ans. Il est alors interné à la prison de Bruges et est reconnu irresponsable de ces actes. Suite à une décision de justice rendue par la Cour d’appel de Bruxelles début septembre, la justice avait accordé au détenu la possibilité de se faire euthanasier dans le département médicalisé d’une prison.
Des sources proches du dossier avaient indiqué hier à VICE News que la justice belge ne s’était de fait pas directement prononcée sur la légitimité de l’euthanasie, qu’elle n’avait pas rendu une décision de justice à proprement parler, mais qu’elle avait simplement pris acte d’un accord de transfert du prisonnier vers une unité médicalisée d’une autre prison où un acte d’euthanasie devait avoir lieu. Cet accord passé entre le Ministère de la Justice belge et Van Den Bleeken, représenté par son avocat Jos Van Velpen, homologuait simplement la validité du transfert à l’hôpital de prison. L’acte euthanasique et la légitimité de celui-ci avaient donc été laissés à la discrétion des médecins qui ont finalement choisi de ne pas aller au bout de la procédure.
Cela fait quatre ans que Frank Van Den Bleeken, reconnu malade sur le plan psychiatrique, réclame avec l’aide de son avocat le droit de mettre fin à ses jours dans le cadre de la loi belge autorisant l’euthanasie. Son avocat n’a pas pu être joint lundi 5 janvier pour répondre à nos questions, il a par ailleurs indiqué vouloir respecter le secret médical. Le silence des protagonistes n’empêche pas la naissance d’un débat public autour de la question de savoir si cette demande d’euthanasie est légitime.
Depuis 2002, les Belges peuvent avoir recours à l’aide au suicide à condition de remplir certaines conditions : la volonté de mourir doit être exprimée de façon volontaire et répétée, et la souffrance physique ou psychique doit être inapaisable et incurable. Van Den Bleeken a estimé que sa condition de délinquant sexuel était sans espoir de guérison. Pour éviter la récidive et mettre fin à ses souffrances, l’homme en a donc appelé à la loi belge et demandé à être euthanasié. La Belgique est le deuxième pays au monde à permettre l’euthanasie, après les Pays-Bas.
Contactée par VICE News, Jacqueline Herremans, avocate belge et présidente de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) rappelle que cette loi est désormais « largement acceptée en Belgique, mais surtout par les médecins qui peuvent aujourd’hui agir dans un cadre légal transparent ». En 2013, les Belges se sont déclarés favorables à un élargissement de la loi de 2002, à destination des mineurs et des personnes jugées démentes — une extension effective depuis le printemps 2014.
Cependant le cas de Van Den Bleeken constitue un point très particulier, ce qui soulève des débats dans une société belge pourtant très ouverte sur ces questions. Déclaré irresponsable de ses actes après sa deuxième condamnation en 1996 il aurait dû être placé dans une institution spécialisée, mais continue de purger sa peine en prison. Pour Herremans, le débat naissant se nourrit de « deux problèmes de sociétés : la fin de vie d’un côté, couplée à la situation des internés psychiatriques dont l’encadrement est largement déficient de l’autre ».
Frédéric Soumois, journaliste du quotidien Le Soir abonde dans le sens de l’avocate dans une tribune qui en appelle à une refonte de l’internement psychiatrique en Belgique, intitulée « C’est l’internement qui doit changer, pas l’euthanasie ». Cet appel semble avoir été entendu par le ministre de la Justice qui a assuré ce mardi dans un communiqué qu’un « plan en vue de l’organisation d’une capacité concrète d’accueil en Belgique » des internés souffrant de troubles psychiatriques allait être mis en place au cours des prochains mois.
Bien que Van Den Bleeken ait été déclaré irresponsable de ses actes, il reste néanmoins « responsable pour les décisions propres à sa santé » selon Herremans ce qui lui a permis de faire cette demande. Des experts psychiatriques ont conclu que sa souffrance était réelle et qu’il ne pourrait pas être soigné.
Pour Jacqueline Herremans le cas de Van Den Bleeken illustre « le revers de la médaille de la loi, puisqu’elle semble être utilisée à d’autres fins [que celles prévues initialement]. La question est de savoir si ce cas rentre dans le cadre de la loi. Si sa souffrance et sa qualité de malade psychiatrique sont incontestables, il convient de savoir si ses souffrances sont les conséquences de sa maladie ou bien alors de sa détention. » Dans le deuxième cas, la souffrance pourrait être réduite par de meilleures conditions de détention, sortant le cas du cadre posé en 2002.
Pour l’avocate spécialisée dans les questions de fin de vie, un procès intenté par le Ministère public à l’encontre du médecin choisi pour pratiquer l’euthanasie n’était de fait pas à exclure. Interrogée avant que l’équipe médicale ne revienne sur sa décision, elle indiquait à VICE News, que selon elle : « Le médecin prend un risque. Je ne me prononcerais pas sur la légitimité de cette procédure. » Elle a également mentionné le cas de prisonniers atteints de maladies incurables type cancer avaient pu être euthanasiés sans que cela soit discuté. Mais ici « puisqu’il s’agit d’un patient atteint de pathologies psychologiques, le débat prend une autre mesure ». Un débat qui semble avoir pesé dans le dernier revirement des médecins.
La RTBF indique ainsi qu’une quinzaine de détenus aurait fait une demande similaire d’euthanasie.
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