Mise à jour : lundi soir, un homme a roulé sur des piétons qui se promenaient sur un marché de Noël, à Nantes, faisant une dizaine de blessés dont cinq graves. Comme dans le cas de Dijon, les autorités rejettent la piste terroriste, privilégiant la piste de l’acte d’un déséquilibré. Aucun propos religieux n’a été tenu par l’assaillant pendant l’attaque a indiqué la justice. Juste après son attaque, l’homme s’est donné 9 coups de couteau, selon des sources policières. Il est désormais hospitalisé. Une des victimes a succombé à ses blessures.
Vers 20 heures ce dimanche soir, un automobiliste a fauché plusieurs personnes dans le centre-ville de Dijon. Neuf personnes ont été légèrement blessées alors que deux autres ont été plus grièvement touchées. Selon des témoins de la scène, l’homme aurait crié « Allah Akbar », tout en visant les piétons.
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Le lendemain, la procureure de la République à Dijon a affirmé en conférence de presse que l’attaque n’était pas « un acte terroriste », donnant du poids à la piste d’un acte motivé par une maladie mentale. Les explications du chauffard sont ainsi confuses. Après avoir dit agir pour les enfants de la Palestine dans un premier temps, il a indiqué ensuite que c’était pour les enfants de la Tchétchénie.
Si la procureure a dû rapidement infirmer la piste terroriste, c’est parce que cet épisode est survenu au lendemain de l’attaque du commissariat de Joué-lès-Tours, samedi, près de Tours. Un homme s’en était pris aux forces de l’ordre avec un couteau blessant trois policiers avant d’être abattu. Selon certains des témoins, il pourrait avoir également dit « Allah Akbar ».
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L’agresseur des policiers tourangeaux, Bertrand Nzohabonayo, est un jeune Français d’une vingtaine d’années né au Burundi et converti à l’islam depuis peu. Il avait affiché sa radicalisation progressive sur son compte Facebook relayant les messages de l’organisation État islamique. Selon les mots du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, il s’agissait d’un individu « très mystérieux et très déstabilisé » notamment d’un point de vue familial. Son frère, un temps candidat au départ en Syrie avant de se résigner, a été arrêté dans le cadre de l’enquête au Burundi chez un oncle, ce lundi en début d’après-midi. Les services de renseignement burundais ont indiqué que les deux hommes étaient suivis depuis 2013 en raison de leur radicalisation.
Le chauffard de Dijon est quant à lui un Français d’origine maghrébine âgé d’une quarantaine d’années qui a multiplié les séjours en hôpital psychiatrique — 157 au total — dont le dernier remonte à quelques semaines. Le suspect présentait quelques antécédents judiciaires qui remontent aux années 1990 pour des faits de délinquance. Selon le préfet de la Côte d’Or, Éric Delzant, il s’agit d’une personne avec un « profil psychiatrique assez lourd ».
Si ce lundi, les deux affaires semblent prendre désormais des tours différents, la classe politique n’a pas attendu avant d’associer les deux affaires dans un même mouvement. Une classe politique tendue par plusieurs affaires internationales récentes comme la prise d’otage de Sydney, mais aussi par de précédentes affaires comme celle de l’agression au couteau d’un soldat français dans le quartier d’affaires de la Défense en mai 2013 par un homme de 22 ans converti à l’islam.
Dans la soirée d’hier, dimanche, le Premier ministre Manuel Valls avait entamé les prises de paroles politiques avec un sobre message de soutien aux victimes de Dijon et à leurs familles sur Twitter.
Du côté de l’opposition, le député-maire de Nice (UMP) Christian Estrosi s’est inquiété des « ravages » de l’islamisme en France et finit par demander des comptes au gouvernement.
Dans la même veine, le Président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Jean-Pierre Raffarin estimait que le gouvernement en savait plus que ce qu’il ne laissait filtrer hier soir sur le chauffard.
L’ancien ministre Bernard Debré a lui estimé que ces actes n’étaient pas le fait de terroristes mais de fous.
L’épisode dijonnais s’est produit alors que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, s’exprimait au 20 Heures de TF1 pour clarifier la situation suite à l’attaque de Joué-lès-Tours. Au cours de son allocution, le ministre — l’air grave — a « décrété la mobilisation générale contre le djihad», une semaine après avoir donné de nouveaux chiffres sur le djihadisme en France. Néanmoins, ce lundi en déplacement à Dijon, il a invité les Français à ne pas rentrer dans le jeu des terroristes en cédant à la panique :
@BCazeneuve : ‘Chacun sait en France que la menace est réelle’ ‘Lutter contre la peur, c’est lutter contre le terrorisme’ #Dijon” byline=”— Ministère intérieur (@Place_Beauvau)” user_id=”Place_Beauvau” tweet_id=”546995818990170113″ tweet_visual_time=”22 Décembre 2014″]
Plus tard dans la matinée, le chef de l’État François Hollande a pris le pas de son ministre de l’Intérieur en appelant à « ne pas céder à la panique » par le biais de Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement français.
Ces deux événements qui apparaissent au fil des heures comme des actes isolés et peu réfléchis font suite à la publication plus tôt dans la semaine d’une vidéo de propagande de l’EI. Un djihadiste français armé d’un AK-47 appellait les musulmans français à « réduire la France en miettes » et à imiter Mohamed Merah notamment en réaction à l’interdiction du niqab en France. Depuis le début de l’intervention de la coalition internationale en Irak et en Syrie, les djihadistes apprentis propagandistes invitent à frapper les intérêts de la coalition partout dans le monde. Plusieurs vidéos publiées depuis début octobre invitaient les musulmans français à rejoindre l’armée de l’EI et à frapper les intérêts français.
La question posée par les deux attaques de ce week-end est de savoir si ces messages ont pu provoquer des passages à l’acte. Si ces vidéos semblent trouver une oreille chez certains, elles ne visent pas juste pour autant. Le psychiatre Gérard Lopez est expert auprès de la Cour d’Appel de Paris, contacté par VICE News, il a examiné les deux événements du weekend et nous livre ses conclusions, en relevant d’abord des similitudes. Il parle d’abord de « coups d’éclat » qui sont aussi une « manière pour ces gens de se valoriser — notamment par l’exposition médiatique qui leur est offerte. »
« Il s’agit d’actes isolés, qui ne semblent pas avoir été prémédités, ni même bien réfléchis, » dit-il. L’expert estime qu’avec ce type d’individu ont peut noter des troubles psychiques certains, caractérisés par une très grande fragilité de leur identité. « Ce genre de personne est très sensibles aux discours extrémistes dont la construction structurelle est très simple, donc qui apparaissent comme des solutions faciles ».
Selon le psychiatre Roland Coutanceau, auteur de Faut-il être normal? Il y a une particularité visible dans le cas de Dijon. Il explique à VICE News que parfois des sujets malades voient leurs délires « infiltrés par la culture ». Ainsi un élément environnemental — ici idéologique — se glisse de façon déformée par le prisme du délire dans les éléments délirants. Cela est typique chez un patient atteint de « délires chroniques » comme cela semble être le cas pour le chauffard de Dijon.
Pour ce qui est du profil de l’assaillant au couteau de Tours, le psychiatre l’estime plus proche du « psychopathe » qui a « des antécédents judiciaires et est devenu perméable à une fixette idéologique ». Enfin, il est possible de dégager un autre type de sujet : « paranoïaque » qui se veut « déterminé, entier, convaincu et jusqu’au-boutiste » comme a pu l’être Mohamed Merah selon Coutanceau qui fait référence à l’auteur des tueries de Toulouse et de Montauban dans la région de Toulouse, en France en mars 2012.
Interrogé par VICE News Jean-Louis Senon, professeur en psychiatrie à l’Université de Poitiers, invite lui aussi à dissocier les deux affaires. Le chauffard présentait de réels signes de maladie mentale alors que Bertrand Nzohabonayo est plus le produit d’une autoradicalisation. « Une autonomisation par rapport aux valeurs familiales pour s’attacher aux repères offerts par une certaine idéologie ».
Ces deux événements font écho à la prise d’otage de la semaine passée au coeur de Sydney par un homme se revendiquant de l’EI. Pour la criminologue Agripart-Delmas, le fait que ces hommes soient tous des récidivistes peut expliquer le passage à l’acte. « Les antécédents de délinquance ont facilité le passage à l’acte en le dédramatisant. »
Suivez Pierre Longeray sur Twitter @p_a_l_
Sally Hayden a participé à la rédaction de cet article : @sallyhayd
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