Week-end à Rome


Quatre femmes à la plage, Naples 1982

Charles H. Traub est un photographe américain âgé de 69 ans. Il a commencé sa carrière de photographe à New York en 1967, en pleine période hippie, se considérant comme un « témoin du monde réel ». Quinze ans plus tard, dans les années 1980 et tandis qu’il se rendait chaque été en Italie, il en profitait pour prendre en photo les gens qu’il voyait passer dans la rue, et qui pour la plupart correspondaient précisément à l’idée que le monde entier se fait des Italiens : des mecs en shorts de bain excessivement courts et des filles brunes posant devant des statues de la Renaissance. Il a compilé ces travaux en un livre rétrospectif sorti plus tôt cette année aux éditions Damiani et intitulé La Dolce Via.

Videos by VICE

Outre constituer un document inestimable sur l’Italie d’il y a trente ans, La Dolce Via révèle une forme de candeur et de joie de vivre qui semble depuis avoir quitté le pays – et plus globalement, le monde occidental. Tous les gens qui ont croisé Traub à ce moment-là semblaient simplement être heureux. Je lui ai posé des questions sur ses vacances en Italie et sur cette époque où la vie était belle.


Cinq mecs, Positano 1981

VICE : Que faisiez-vous à New York à la fin des années 1970 avant de partir en Italie ?
Charles Traub :
À l’époque, je travaillais en tant que photographe et artiste freelance. J’avais des contacts à la Light Gallery de New York, et à côté de ça je travaillais également dans une rédaction pour arrondir mes fins de mois. L’Italie m’a permis de m’échapper de cette routine – le pays a été une source d’inspiration et d’énergie pour moi.

Qu’est-ce qui vous a amené en Italie ? Pourquoi avoir voulu rendre compte de la vie des habitants, de votre point de vue d’Américain ?
L’Italie représentait, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, un terrain très propice à mon travail de photographe. J’y suis allé régulièrement pendant quatre ou cinq années de suite avec pour seule intention de photographier ce que j’appelais des « moments remarquables ». Les villes et paysages étaient encore relativement préservés. Ils n’avait pas subi les effets de la mondialisation comme aujourd’hui. Les fast-food, les chaînes de grands magasins étaient mal vus ; les jeans, les tatouages ne faisaient pas partie du paysage. L’Italie avait du style !

La culture y était encore raisonnablement homogène, même si il existait une tendance à essayer de reproduire le passé – avec un certain degré d’ironie. Mais ça peut se comprendre, car après tout, c’est sans doute le seul pays à avoir, par deux fois dans l’Histoire, aussi grandement influencé la pensée occidentale : à l’époque de l’Empire Romain, puis à la Renaissance.


Cinq filles devant le miroir, Naples 1982

Peut-on dire que La Dolce Via constitue une tentative de photographie de rue – exercice typiquement américain et courant à la même époque – mais dans un autre pays ?
À vrai dire, je n’ai jamais compris ce terme. Je le trouve impropre. J’ai toujours été, et serai toujours quelqu’un qui cherche à rendre compte de ce que je vois, ce que je vis. Il serait plus exact de parler de photographe-promeneur que de photographe de rue, parce que ledit photographe prend des photos en intérieur, en extérieur, n’importe où.

Les images que je produis s’intéressent surtout à la réalité du temps qui passe, de l’espace, des événements qui surviennent. Pour autant, je ne pense pas faire de travail documentaire – je ne suis pas un journaliste, et je ne prétends pas montrer une quelconque vérité, en dehors de ma vérité. Je suis intéressé par tout le monde, tout le temps, partout. Je suis convaincu que nos vies sont déjà autant de narrations, bien plus intéressantes que tout ce qui peut être construit – ou tout ce que l’on peut chercher à s’approprier.


Des communistes manifestent dans la rue, Rome 1983

Vos photos témoignent d’une Italie particulièrement candide, pas encore touchée par la consommation. À quoi ressemblait le pays au début des années 1980 ?
Entre l’émergence du design italien moderne, la richesse gastronomique, l’influence du passé sur le mode de vie des Italiens… tout concordait pour offrir un contexte idéal pour quiconque cherchant la dolce vita. Tout doit être lu en surface, pour paraphraser Oscar Wilde ; et l’Italie de l’époque était l’endroit idéal pour mettre cette instruction à l’épreuve du réel. La complexité de la culture italienne était une source illimitée d’inspiration. Il y avait toujours des événements, des anecdotes dont je pouvais rendre compte. Il y a un mot italien pour décrire ça : leggerezza.

J’ai le sentiment que presque toutes les photos du livre ont une connotation sexuelle : on voit souvent beaucoup de peau, les gens marchent dans la rue en maillot de bain. C’est le cas, selon vous ?
La sensualité de mes photos ressort du fait qu’elles sont prises dans un pays qui tentait de dissimuler la réalité de ses difficultés économiques, son déclin, et qui ne vivait que par la nostalgie de sa gloire passée. Tout le monde s’expose dans les rues de Rome ou de Naples. Quand on prend sa pause déjeuner, quand on se promène, c’est pour se mettre en scène à l’extérieur, échapper à la routine. Tout le monde veut être vu. De même, les Italiens aiment être remarqués pour leur style, leur physique, et en effet, pour leur sensualité. Très peu de gens se sont opposés à ma demande de les prendre en photo. La sexualité, la sensualité appartenant à chacun, c’est donc à eux de bien vouloir la révéler.

Il y a aussi un fort sentiment de nostalgie qui ressort, celle d’un âge où tout était possible.
Après avoir exposé ces photos dans les années 1980, je les ai remisées dans des boîtes entre l’Italie et les États-Unis. Je suis retourné en Italie plusieurs fois depuis, notamment l’an passé, et j’ai pu constater que l’Italie actuelle n’était plus du tout celle de la Dolce Via. La leggerezza s’est évaporée, en effet. Les gens ont perdu ce qui les rendait si spéciaux, si différents des gens d’ailleurs. Ce monde était une salade de fruits exotiques. Aujourd’hui malheureusement, c’est devenu une sorte de smoothie.

La Dolce Via vient d’être publié aux éditions Damiani. Pour plus d’informations, rendez-vous ici.

Pour plus d’images de Charles Traub, cliquez ci-dessous.


Une rangée de pastèques, Naples 1981


Cinq enfants devant une statue, Naples 1981


Des enfants dans un tunnel piéton, Naples 1982


Des enfants sur un bateau, Naples 1982


Des femmes avec un appareil photo, Milan 1981


Du soleil dans les yeux de mon modèle, Florence 1982


Une femme en jaune en train de lire, Rome 1981


Deux prêtres à Reggio Emila