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Société

Ce que votre dernière recherche Google dit de vous

Vous n’avez peut-être « rien à cacher », mais si je vous demande de me montrer votre historique de recherche, vous oseriez le partager avec le lectorat de VICE ?
Nadia Kara
Antwerp, BE

Depuis la fin des années 1990, les moteurs de recherche ont révolutionné la façon dont on cherche réponse à nos questions les plus banales, intimes ou cruciales. Qu’il s’agisse d’infos pratiques, de faits historiques ou de questions embarrassantes, Google et compagnie font tour à tour office de chaîne météo, de bescherelle et de confessionnal – tout ça en retenant bien soigneusement chaque mot que vous encodez pour vous les ressortir sous forme de publicités ciblées.

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Vous n’avez peut-être « rien à cacher » aux géants de la Silicon Valley, mais si je vous demande de me montrer votre historique de recherche, vous oseriez le partager avec le lectorat de VICE ? Mon entourage se prête au jeu.

Jana Tricot (36 ans) – « Jana Tricot »

VICE : Ptdr. On le fait tou·tes, en même temps.
Jana :
C'est pas ce que tu crois ! Oui, j’ai cherché mon propre nom, mais j’avais une bonne raison. Je reviens d'un voyage au Rwanda. Sur place, le propriétaire de la guest house qu’on avait bookée vient nous chercher à l’arrêt de bus. Quand il me voit, il me lance : « Tu travailles dans le secteur culturel, toi, hein ? » Ça m’a complètement déstabilisée, du coup je lui ai demandé comment il savait ; il m’a répondu qu’il m’avait googlée, tout simplement. Une fois installée dans ma chambre, j’ai décidé de taper mon nom dans Google et de jeter un coup d'œil aux résultats, histoire de quand même savoir ce qui se dit sur moi sur internet – enfin, surtout, ce qu’il avait pu trouver à mon propos.

Et t’étais satisfaite des résultats ?
J’ai surtout constaté que l’info qu’on trouve sur moi sur internet date un peu. Et surtout, que les photos qui ressortent ne sont pas nécessairement les plus flatteuses.

Ah ouais… 
C’est difficile d’avoir le contrôle de ça évidemment, c’est relou. Des photos que tu préférerais enterrer et des propos que t’as tenus quand t’avais 21 ans, c’est pas vraiment la première impression que j’ai envie de faire sur les gens qui me googlent. Mais bon, c’est comme ça.

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Tu pourrais toujours essayer d’inonder l’internet avec des photos et contenus plus actuels : s'ils sont bien référencés, ça noiera le poisson !
C’est pas con ça… faudra que tu m’expliques comment faire.

C’est quelque chose qui te préoccupe, la trace que tu laisses en ligne ?
Oui et non. Je suis pas super active en fait, mais j’utilise pas non plus mon vrai nom sur les réseaux. Je devrais peut-être m’y mettre.

Shiela B.* (25 ans) – « hymen imperforé »

VICE : Jamais entendu parler. Ça veut dire quoi ?
Shiela :
Justement, personne n’en entend jamais parler. J’étais avec une copine et je lui racontais que quand j’étais ado et que j’ai eu mes premières expériences sexuelles, j’avais mal à crever pendant la pénétration. Ma gynéco m’a expliqué que j’avais un hymen imperforé, en gros ça veut dire que mon hymen était trop rigide et ne s’étirait pas lors d’un rapport, comme le ferait un hymen « classique ». Il y avait également une membrane qui bloquait mon canal vaginal. J’ai fini par me faire opérer.

Wow.
Ouais. Quand j’ai entendu le mot « opération », j’étais choquée aussi. Ça me semblait bizarre d’arriver avec une solution aussi extrême, mais ma gynéco m’a expliqué que c’était à peu près la seule façon d’en être quitte. J’étais pas super chaude, mais ça me faisait tellement mal que j’ai finalement choisi de passer sur le billard, histoire de pouvoir avancer. On m’a fait deux incisions dans l’hymen, ce qui a permis de le rendre plus malléable. Au final je suis contente de l’avoir fait, et d’en avoir parlé à ma gynéco surtout. Parce qu’en faisant mes recherches toute seule, je tombais sur des articles sur le vaginisme ou l’endométriose, et je sentais bien que c’était pas ça.

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« Certaines personnes  avaient même dû se faire opérer en urgence… alors comment ça se fait que personne n’en parle ? »

De l’importance de demander l’avis d’un-e pro. Et après l’opération, tout est rentré dans l’ordre ?
Oui, enfin j’ai quand même dû faire de la kinésithérapie. J’ai dû apprendre à relaxer les muscles de mon vagin, parce que je m’étais retrouvée dans un cercle vicieux : la pénétration me faisait mal, donc j’étais tendue, et comme j’étais tendue ça faisait encore plus mal. 

C’est dingue, c’est la première fois de ma vie que j’entends parler de tout ça.
C’est un peu ça, le souci : on n’en parle pas. La raison pour laquelle le sujet était arrivé sur la table avec ma pote, c’est que j’avais vu une vidéo d’une nana qui partageait son expérience. Elle avait aussi un hymen imperforé, mais encore plus grave que moi : le sien bloquait complètement son vagin. Durant toute son adolescence, elle n’avait jamais eu ses règles et elle avait fini par s’en inquiéter. En consultant un médecin, elle a réalisé qu’elle avait bien eu ses règles, mais que tout le sang menstruel s’était accumulé dans son utérus. Elle a eu de la chance qu’on l’ait découvert à temps et qu’elle n’ait pas eu de séquelles, parce qu’évidemment ça peut être vachement dangereux. En lisant les commentaires sur la vidéo, je me suis rendu compte du nombre de personnes qui avaient connu des problèmes similaires, certaines  avaient même dû se faire opérer en urgence… alors comment ça se fait que personne n’en parle ?

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Jelle V.P. (29 ans) – « couches terrestres magma futur »

VICE : Faut que tu m’expliques…
Jelle :
Honnêtement, je me souviens plus pourquoi j’ai cherché ça. Quand je fume trop de weed je me lance parfois dans des deep dives – des recherches très poussées qui ont beaucoup de sens sur le moment, mais auxquelles je ne comprends plus rien le lendemain. Là, mon historique est plein de trucs sur le magma et le noyau de la terre, les volcans, les plaques tectoniques… mais j’ai pris aucune note, donc ça n’a pas dû être très concluant.

R.I.P. ta carrière de géologue.
Ouais. Si ça se trouve, un jour, je ferai une découverte scientifique géniale, attends de voir !

Dries* (30 ans)  – « Mawda »

VICE : Tu étais à la recherche de quelle info ?
Dries :
En fait c’était un peu par hasard que j’ai tapé ça. J’étais dans le bus en train de scroller sur mon téléphone, et j’ai vu sur la page d’accueil de mon navigateur que l’État avait été condamné dans l’histoire du flic qui avait tué la petite Mawda. J’ai donc lancé une recherche sur son nom pour en savoir plus et trouver d’autres articles. 

Et t’as appris quoi ?
Que la justice belge n’en rate pas une pour nous mettre la honte. OK, l’État a été condamné, mais en réalité, c’est surtout symbolique. Je crois que c’est plutôt un échec parce que la justice, si elle a bien ordonné à l’État de mieux former les policier·es sur l’usage de la force et des situations où des enfants sont impliqués, n’a pas pour autant reconnu les dysfonctionnements structurels de la police, ni les défaillances qui ont mené à cette fin tragique et surtout évitable. Ces défaillances ne sont pas considérées comme condamnables, alors que les dossiers, selon certains articles, les pointent clairement du doigt.

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Ça t’arrive souvent de te laisser guider par  ta page d’accueil ? Chez moi les infos y sont toujours super random.
Honnêtement, pareil. C’est l’une des rares fois que j’ai vu un truc intéressant sur Google Discover, ou en tous cas, un truc qui m’a amené vers de l’info. En général, j’ai que des trucs de merde : untel qui clashe unetelle dans telle émission, unetelle qui répond, un autre qui réagit à la polémique, la friterie de je-ne-sais-quelle-ville qui ferme, « une mauvaise nouvelle pour Action qui fera le bonheur des clients », « la douane fait une découverte surprenante », bref que de la chiotte, écrite par des gens qui remuent la merde. L’ironie dans tout ça, c’est que comme je clique toujours sur ces articles pourris comme une victime – oui, j’estime être la victime de ces médias racoleurs, et ils sont mes agresseurs – mon algorithme ne change pas.

Zahra Benasri (âge non communiqué) – « Si mon chien ne m’aime pas »

VICE : Petite crise avec ton toutou ?
Zahra :
Pas encore ! Je me prépare à la venue d’un chiot et j’ai l’impression que c’est un enfant que j’adopte. J’ai très peur que ça ne matche pas entre nous : et si on ne s’aimait pas ? Je suis très casanière, j’aime ma solitude, ne rien faire… et je me dis que s’il est ultra-excité, ça va pas le faire. J’ai peur qu’il me trouve ennuyeuse.

C’est ça qui t’angoisse le plus à l’idée d’avoir un chien ?
Oui, je crois. Ça et le pipi. Et le caca. Devoir lui apprendre à être propre, être responsable de son éducation, faire en sorte qu’il reste en bonne santé, lui trouver une bonne assurance pour ses frais vétérinaires…

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T’es sûre que tu veux un chien ?
Oui ! J’ai toujours voulu un chien, mais toute ma vie on m’a répété qu’il fallait avoir un jardin, alors ça me bloquait. Puis j’ai finalement décidé de sauter le pas : je suis en plein chamboulement dans ma vie, et je voulais vraiment avoir une relation basée sur un échange réciproque d’amour. J’ai eu un chat, Albert, et je suis sûre qu’il m’aimait bien, mais c’était pas de l’amour inconditionnel.

« Bruh, laisse-moi vivre, tout ce que je veux c’est aimer et être aimée. »

J’ai vu une nana sur Tiktok expliquer que les gens qui aiment les chiens parce que leur amour est inconditionnel sont des psychopathes. No offense.
Un pote à moi m’a dit la même chose, que chercher l’amour inconditionnel d’un être vivant, ça se travaille en thérapie. Bruh, laisse-moi vivre, tout ce que je veux c’est aimer et être aimée et comme je veux pas d’enfant, j’ai le sentiment que partager ma vie avec un chien, ce serait une belle aventure. Ça va demander quelques ajustements, par contre : je bosse dans le cinéma et je me rends régulièrement dans des festivals à l’étranger, et je sais pas trop si je pourrai l’emmener. Avec mon chien sur la Croisette, pourquoi pas oui, mais ça m’étonnerait qu’on le laisse entrer avec moi dans les salles de cinéma. Je me dis qu’il y a des gens plus occupés que moi qui ont des chiens – genre Angèle, Michel Drucker, Jennifer Aniston – mais bon, iels sont riches donc évidemment, c’est pas pareil.

Ça te ferait pourtant un chouette palmarès à rejoindre.
Ben oui ! Un jour, lors d’une cérémonie, l’animateur a dit : « Arrêtez de remercier vos parents quand vous recevez un prix, parce que s’ils vous avaient véritablement aimé comme il se doit, vous feriez pas du cinéma. » Si un jour je gagne la Palme d’Or, au moins, je pourrai remercier mon chien.

*Certains noms sont incomplets ou sont des noms d’emprunt, les personnes concernées ne souhaitant pas laisser de traces sur internet ou pour des raisons professionnelles.

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