Ce samedi matin, quelques heures seulement après l’horreur, certains Parisiens se réveillent et commencent leur journée. Dans les rues, sur les coups de 7 heures du matin, ce sont les gestes habituels, deux éboueurs balaient, un épicier ouvre son commerce. Paris n’est plus en état de siège avec des rues entièrement vidées, mais tous les 100 mètres, une patrouille de police ou des gendarmes en faction, lourdement armés, viennent rappeler le fait que depuis la veille, le pays est en état d’urgence.
En attendant leur tram, des Parisiens se réveillent avec des questions et essaient de comprendre le fil des événements de la nuit en interrogeant leurs smartphones. Deux questions reviennent : peut-on se déplacer dans la ville ? Les auteurs des attaques sont-ils tous morts ? Ce samedi matin rien ne permet de répondre oui ou non à cette dernière question.
Videos by VICE
Pour le président de la République qui s’est exprimé en milieu de matinée, ces attaques sont un « acte de guerre commis par Daesh [Ndlr, l’organisation terroriste État islamique]. » En fin de matinée, l’organisation terroriste État islamique annonce via un communiqué officiel qu’elle revendique les attaques.
***
Les décisions prises par les autorités
Plusieurs attaques simultanées ont eu lieu à Paris dans la soirée de ce vendredi 13 novembre. Dans la nuit, le procureur de la ville de Paris, François Molins, a donné un premier bilan provisoire : au moins 120 morts. Un bilan porté à 127 morts ce samedi matin. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière en France (en l’espace d’une journée) depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Le président Hollande a annoncé trois jours de deuil national.
Dès hier soir, le président de la République, François Hollande a décrété l’état d’urgence sur tout le territoire français. Il s’agit une première depuis 1961 et le « putsch des généraux » en Algérie. À l’époque, l’ensemble du territoire métropolitain avait été placé sous ce régime juridique et logistique exceptionnel. En 2005, l’état d’urgence avait aussi été déclaré lors des émeutes dans les banlieues, mais uniquement sur certains territoires.
L’état d’urgence est déclaré « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. » Il donne certains pouvoirs exceptionnels aux autorités comme interdire la circulation des personnes, instituer des zones de protection, ordonner la fermeture des lieux de réunions de toute nature, permettre des perquisitions à domicile jour et nuit et assurer le contrôle de la presse et des publications.
L’état d’urgence ne peut être prolongé au-delà d’une durée de 12 jours, ou alors seulement par la loi.
Le président a aussi annoncé le rétablissement des « contrôles aux frontières » (et non la « fermeture des frontières » comme annoncé dans un premier temps). Les aéroports de Paris — Orly et Charles-de-Gaulle — ainsi que toutes les gares françaises sont ouverts. Il est possible de circuler dans Paris, sauf dans certaines zones qui sont toujours bloquées par la police. Le métro fonctionne, mais certaines stations sont fermées. Les écoles, lycées, universités, marchés couverts et musées en Ile-de-France resteront en revanche fermés.
Dans la nuit, le ministère de l’Intérieur a annoncé un dispositif policier et sanitaire exceptionnel. 1 500 militaires supplémentaires sont déployés en renfort, tous les policiers du 36 Quai des Orfèvres sont mobilisés et 800 policiers de voie publique sont chargés d’assurer l’ordre dans les rues de Paris. Un « plan blanc » a été déclenché dès hier soir qui permet d’organiser au mieux la réponse hospitalière — notamment la réquisition de personnels, de lits et de blocs.
Les attaques de la nuit
Ce samedi matin, la chronologie des faits reste encore confuse. Six lieux au total auraient été touchés : le Stade de France à Saint-Denis au nord de Paris et les 10e et 11e arrondissements de la capitale française. 5 attaques différentes ont touché les deux arrondissements de l’est parisien : la rue de la Fontaine-au-Roi, la rue Bichat, le boulevard Voltaire, la rue de Charonne, et le Bataclan, une salle de concert historique de Paris.
1: Trois kilomètres au Nord de Paris, autour du Stade de France : 4 morts
2. Rue Bichat : 12 victimes
3. Dans les environs de la rue du Faubourg du temple : 5 morts
4. Au Bataclan : plus de 80 victimes. Un terroriste se serait fait exploser à quelques mètres de là, boulevard Voltaire.
5. Rue de Charonne : 19 morts
Le Stade de France
Hier soir, la France et l’Allemagne s’affrontaient au Stade de France (Seine-Saint-Denis). C’est ici que le premier volet de ces attaques coordonnées a eu lieu. À 21 h 20, 21 h 30 et 21 h 53, trois explosions ont retenti aux abords de l’enceinte sportive. Les déflagrations ont été d’une telle violence qu’on pouvait les entendre à la télévision.
« Tout le monde se dit que ce sont des bombes agricoles, » explique à VICE News, Romain, 25 qui était dans les tribunes hier soir. « Mais des gars me disent que l’explosion est tout de même très forte, bien plus forte qu’une bombe agricole. Le match se poursuit, ce n’est pas encore l’emballement. » Le président de la République, François Hollande, qui assiste lui aussi à la rencontre de football est exfiltré rapidement du stade.
« Le 2e but de la France est fêté normalement, il y a même une ola, » se souvient Romain. « Mais certains commencent à savoir qu’il se passe quelque chose de grave sans savoir. C’est encore très flou. Après le match, je sors de la tribune. C’est une vague humaine. Tous les gens vont sur la pelouse. Certains pleurent et sont paniqués. La tension monte à mesure que les infos se diffusent sur les réseaux sociaux. »
Des sources policières citées par plusieurs médias français indiquent que trois hommes se seraient fait exploser. Une autre personne aurait aussi perdu la vie. Les spectateurs rassemblés sur la pelouse seront évacués vers 23 h 45. « Ce qui est très bizarre, c’est qu’après la panique, les gens sont évacués et se dirigent vers le RER et le métro presque normalement, » explique Romain.
Rue Bichat
Peu avant 22 heures, rue Bichat dans le 10e arrondissement de Paris, une fusillade a éclaté à proximité d’un restaurant et d’un bar — Le Petit Cambodge et Le Carillon. Ce quartier de l’est de Paris est très fréquenté les vendredis soir, où l’on trouve de nombreux bars et restaurants. 12 personnes auraient été tuées lors de cette attaque. Selon des témoins de la scène, les assaillants seraient arrivés en voiture.
Rue de Charonne
Un peu plus au sud de la rue Bichat, au croisement de la rue de Charonne et de la rue Faidherbe, dans le 11e arrondissement, un homme est sorti d’une voiture et a commencé à tirer, selon une riveraine citée par le journal Le Monde. D’après ce témoin, la fusillade aurait aussi eu lieu peu avant 22 heures. Sur la terrasse du café La Belle Équipe, 18 personnes ont été tuées d’après une source policière.
Rue de la Fontaine-au-Roi
Toujours dans le 11e arrondissement, 5 personnes auraient été tuées à proximité d’un restaurant de spécialités lyonnaises. Un témoin raconte la scène à Paris Match, « J’ai vu un type qui défouraillait comme un dingue. Au début, j’ai cru que c’était comme un dessin animé ». Les policiers hurlaient aux gens de rentrer dans les halles et se cacher.
Le Bataclan
Boulevard Voltaire, un terroriste s’est fait exploser peu avant 22 heures. Quelques minutes plus tard, à quelques encablures de là, au croisement du boulevard Voltaire et du boulevard Richard-Lenoir, une fusillade éclate au Bataclan, une célèbre salle de concert parisienne. En plein milieu d’un concert du groupe de rock Eagles of Death Metal, au moins trois assaillants sont entrés dans la salle et ont fait feu.
L’attaque va durer près de deux heures. Certains parviennent à s’échapper où à se cacher. Dans la salle, un nombre important de spectateurs sont retenus otage. Peu après minuit, la BRI va donner l’assaut. Plusieurs déflagrations retentissent dans la nuit parisienne. Les assaillants viennent de déclencher leurs ceintures d’explosifs. Un premier bilan provisoire tombe vers 2 heures du matin quand le procureur de la ville de Paris, François Molins, prend la parole : au moins 70 personnes ont été tuées dans la salle de concert.
Le point sur l’enquête
Les autorités ont fait savoir que la situation était sous contrôle, mais le nombre exact d’assaillants n’est pas encore connu. Le Monde indique que 7 individus se seraient fait exploser et un huitième aurait été neutralisé.
Un conseil des ministres est annoncé en milieu d’après midi ce samedi. Dimanche, en fin d’après-midi, le président recevra l’ensemble des chefs de parti.
Après le choc
Près de la place Vendôme, à quelques pas du musée du Louvre, les rues étaient remplies en fin de matinée ce samedi. Des enfants faisaient du vélo, certains buvaient des cafés en terrasse.
Des officiers de police devant le Louvre, fermé pour la journée. Des touristes se baladent.
« Nous n’avons plus rien à faire ici », explique à VICE News, un touriste suisse qui était venu en vacances avec sa femme. Ils avaient prévu d’aller voir une exposition au musée Georges Pompidou, qui est fermé comme tous les musées de la capitale.
Ce matin près du Louvre et de la place Vendôme, des familles se promènent, les magasins sont ouverts, les gens boivent des cafés.
Le café La Coupe d’Or, rue Saint-Honoré, était plein de familles qui prenaient leur petit-déjeuner. La propriétaire du café, Catherine, nous dit qu’elle n’a jamais envisagé de ne pas ouvrir ce matin. Elle est terriblement attristée par les événements de la veille, mais heureuse d’être en bonne santé et au travail, ce qui lui permet de penser à autre chose.
« Je préfère être ici dans mon café, que de rester à la maison et passer la journée à m’inquiéter », nous dit Catherine.
Suivez VICE News sur Twitter : @VICENewsFR
Rachel Browne et Louis Dabir ont participé à la rédaction de cet article.