Music

Lauphi défendra le Confort Moderne contre les selfie-sticks et les limonadiers jusqu’à son dernier souffle

En 2015 y a t-il trop de tout ? Une question dont la réponse fait peur et qu’on n’aurait jamais imaginé se poser il y a ne serait-ce qu’une quinzaine d’années. Mais aujourd’hui, la saison des festivals donne l’impression de se faire ensevelir sous une gigantesque marée noire, de nous engluer dans un pétrole dégueulasse dont on a bien du mal à se laver les ailes. La presse nous rebat les oreilles sur la disparition des festivals et leurs difficultés à se maintenir en vie, mais ne peut-on pas y voir un mouvement naturel qui va faire le tri entre les bons éléments et les parasites qui cherchent juste à vous vendre de la bière aussi tiède que leur programmation cuisine-vapeur ?

Si c’est le cas, Less Playboy is More Cowboy peut dormir sur ses deux oreilles : le festival organisé au Confort Moderne de Poitiers mise depuis 2010 sur l’intelligence et l’audace, préférant le Colt 45 au selfie-stick, commele prouve l’affiche de la sixième édition qui démarre ces jours-ci, et où l’on retrouve des gens comme Extreme Precautions, La Colonie de Vacances, James Pants ou Ninos du Brasil. On a demandé au taulier, Lauphi, comment, lui, voyait les choses.

Noisey : Tu peux te présenter et nous expliquer ton parcours ?
Laurent Philippe : Je m’appelle Laurent Philippe, dit Lauphi. Je suis au Confort Moderne à la prog musique depuis juillet 2003. Avant ça, j’étais booker pour une boîte qui s’appelait Olympic, et qui s’appelle aujourd’hui Auguri. Le catalogue était alors très différent, je bossais sur Yann Tiersen, Philippe Katerine, Matthieu Boogaerts, toute cette nouvelle scène chanson française. Mais avant ça j’ai commencé comme tout le monde : derrière un instrument, en l’occurrence à la batterie. J’ai d’abord organisé les concerts de mon groupe, puis on a monté une asso, on faisait des soirées dans un café concert assez culte pour les rennais : les Tontons Flingueurs. On était très fans de la scène kraut anglaise de la fin 90’s (Moonshake, Movietones…) et puis on a fait jouer des trucs comme Blonde Redhead, Trumans’ Water, etc.

Videos by VICE

Est-ce que tu différencies ton approche de la programmation de la salle et celle du festival ?
Oui et non. Pour moi, le festival est le reflet intime de la ligne directrice du Confort à l’année. C’était d’ailleurs la même chose pour mon prédécesseur : aller vers des groupes émergents et vers des choses variées avec un penchant marqué pour le rock’n roll au sens très large. Less Playboy c’est l’occasion de montrer des groupes qui seraient difficiles à caser seuls dans la salle durant l’année. Le festival a un côté laboratoire. Après, on a forcément des contraintes économiques et une mission de service public à respecter. Pendant l’année, on doit faire des groupes plus mainstream, c’est une obligation mais on essaie de s’y plier avec goût. Pour Less Playboy, on essaie d’éviter de faire les mêmes groupes que tous les autres festivals, le top des 20 têtes d’affiches qui vient de sortir [Rires]. On n’a pas la même approche que les autres. Ça ne nous intéresse pas de mettre des tas de gens derrière des barrières et de vider un max de fûts de bières. L’idée est aussi de profiter du site qui est un vrai cadeau : il y a un jardin, une galerie, un bar, une salle de concerts, ça encourage à être imaginatif. Après, je ne te cache pas qu’on n’a pas des fréquentations de malades.

Le Confort Moderne fête ses 30 ans cette année. Dans les années 80, ce genre de lieu s’est souvent créé à l’initiative de la Gauche, pour canaliser un peu la jeunesse. Aujourd’hui, quelle est la place d’un équipement comme le Confort dans la Ville de Poitiers ?
Le Confort Moderne a été un vrai laboratoire pour le ministère dans les années 80. L’association qui gère la salle a été créé en 1978, ils avaient un besoin d’investir un lieu. Pour ce qui est de la relation des Poitevins au lieu, je ne sais pas. C’est difficile à dire. Je pense que c’est un lieu qui a meilleure image à l’extérieur qu’à l’intérieur de Poitiers [Rires]. Peut-être que c’est la longévité qui joue. On a une base de public fidèle. Avec quelques choix de prog plus grand public, on arrive à faire venir de nouvelles têtes. Ici, c’est spécial car Poitiers est une ville très étudiante (20 000 étudiants pour 100 000 habitants). Il y a un gros turn over. Je n’arrive pas à savoir l’image qu’en ont les habitants. Je pense que ça reste une institution et les gens qui passent la porte se l’approprient en général.

La façon dont le Temps Machine à Joué-les-Tours [près de Tours] a été remis en cause par les pouvoirs publics au moment des élections municipales, t’a touché ou fait peur ?
Oui ça m’a clairement fait peur. Après, les contextes étaient très différents. Nous, on bénéficie de notre histoire, les politiques ont confiance en nous. Si l’asso était mal gérée, on se serait planté depuis longtemps. On propose deux activités, centre d’Arts et SMAC [SMAC = scènes de musiques actuelles-financées en grande partie par les collectivités publiques] pour le prix d’une donc ce n’est pas pour déplaire aux politiques [Rires]. C’est un outil qui rayonne aussi en dehors de Poitiers. Le Temps Machine était une délégation de service public avec un contrat d’objectifs. Entre les espoirs, ce que peuvent se figurer les politiques et les résultats à l’arrivée, il y a des déceptions.

Au Confort aussi en 1991, il y a eu une crise, liée notamment à sa ligne artistique. Le lieu s’en est relevé et le Temps Machine s’en relèvera aussi. Ca a été un argument électoral, ils se sont retrouvés dépassés par ça [notamment quand des élus, gauche et droite réunis, passablement éméchés ont décidé de perturber le concert de Glenn Branca]. Ça m’a attristé car j’ai toujours trouvé que Fred [Landier alias Rubin Steiner, le programmateur, qui vient de quitter les lieux] faisait un boulot super dont pas mal de SMAC devraient s’inspirer.


Shellac à l’édition 2014 de Less Playboy Is More Cowboy – Photo : Yvain Michaud

On entend beaucoup de choses sur l’économie des festivals en ce moment mais est-ce qu’on n’arrive pas à saturation avec pas mal d’évènements montés par des tourneurs en quête de subventions et qui proposent tous le même line-up et les mêmes tête d’affiches ? Tu as des contre-modèles en tête ?
Oui, plein : Heart of Glass Heart of Gold, Baleapop, Musiques Volantes (dans lequel je suis un peu impliqué), le BB Mix, Teriaki au Mans, les Rockomotives. Pas mal de choses dont on se sent proche. L’intention n’est pas la même que ces grosses machines. Notre idée est de montrer des artistes, pas d’en faire un business. On a aussi le privilège de pouvoir se le permettre grâce à l’argent public, c’est sûr. Notre économie reste fragile. La contrainte d’avoir un petit budget nous oblige à être inventifs : se sortir les doigts du cul et chercher des découvertes qui, aujourd’hui, coûtent peu mais feront vibrer les gens demain.

Après autant d’années, tu arrives à renouveler ton approche de programmateur ? Comment t’y prends tu, c’est quelque chose de réfléchi ?
Oui j’essaie, mais de façon inconsciente. Je ne conceptualise pas tout ça. J’ai 3 axes sur le festival : proposer une création, ça nous tient beaucoup à cœur. Cette année avec La Colonie de Vacances dirigée par Greg Saunier. Le deuxième c’est faire quelque chose de cohérent avec le plasticien invité et son univers. Cette année c’est Justin Lieberman, qui travaille beaucoup avec de la récup’. Je suis parti sur une prog musique avec pas mal d’électronique, quelque chose de plus sombre et distordu… Le troisième axe c’est la journée orgiaque du samedi : 16h – 4h du matin avec un concert par heure. On crée un parcours où on navigue entre différents styles et espaces avec une montée en puissance pour finir par une vraie fête. C’est ça qui me guide dans mes choix.


La Colonie de Vacances en pleine répète pour leur concert au festival.

Tu peux nous expliquer comment s’est monté le projet avec La Colonie de Vacances et Greg Saunier ?
Il y a un an tout juste je sortais de Less Playboy (tôt le matin) et je partais aux Nuits Sonores pour revoir la Colonie de Vacances. J’étais encore bien dans le festival mais j’avais un peu le blues donc ça m’a permis de me replonger vite dans l’édition 2015. Je gardais en tête que c’était une édition spéciale : celle des 30 ans mais aussi la dernière dans les murs historiques car il va y avoir des gros travaux de réhabilitation à partir de 2016. J’ai eu cette idée de création à ce moment-là. Ma première idée, c’était de proposer à 4 groupes marquants de l’histoire du Confort de choisir chacun un groupe qui les représenterait et de reproduire le principe de la Colonie de Vacances, avec un rêve un peu fou de convoquer ensemble Lightning Bolt, Battles, Shellac… Mais complètement irréalisable.

À la fin de leur concert aux Nuits Sonores, j’en ai parlé aux gars de Pneu qui eux réfléchissaient à confier le dispositif à un compositeur. J’ai mûri le truc et cherché des financements. On s’est revus et on a lancé l’histoire. On a listé pas mal de compositeurs cohérents et intéressants. L’idée c’était d’amener la colo vers autre chose, faire évoluer le projet. On a essayé Fred Frith, qui a une histoire avec le Confort, on a pensé aussi au gars des Meridian Brothers puis à Greg Saunier. Lui a sauté sur l’occasion. Ça a mis tout le monde d’accord. La pièce au final est vraiment dingue. Le résultat est quand même très marqué Deerhoof par ses mélodies et ses structures bizarres mais ça reste proche de la Colonie. La collaboration est super réussie.

Pour finir, l’artiste que tu n’as jamais réussi à faire sur Less Playboy et que tu rêves de faire ?
Shellac peut-être, qui chaque année m’ont envoyé chier avant qu’on réussisse à les avoir l’an dernier [Rires] Ou Dan Deacon que j’avais programmé au Confort et qui a annulé du jour au lendemain… Mais des rêves, non, pas vraiment.


Adrien ne s’interdit jamais de rêver. Il est sur Twitter.