Cela fait seulement cinq ans que la 4G permet à nos smartphones de naviguer sur Internet et de regarder des vidéos HD à une vitesse décente. Pourtant, tandis que de nombreux pays attendent toujours d’être équipés d’une infrastructure 4G, le monde de la tech a déjà les yeux tournés vers la 5G, la technologie sans fil de 5e génération.
La 5G promet un Internet plus de dix fois plus rapide que celui que nous connaissons actuellement, accompagné d’un temps de latence extrêmement faible. Elle permettrait ainsi d’arroser les objets connectés qui peuplent nos foyers, et bientôt peut-être, nos voitures autonomes et nos casques de réalité augmentée/virtuelle. Évidemment, les blogueurs et les entrepreneurs sont très excités. Pourtant, la 5G n’existe pas. Ou pas encore.
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Les chercheurs, les décideurs et l’industrie des technologies sans fil cherchent désespérément comment faire de ce protocole nouvelle génération une réalité. Dans le doute, ils se sont fixés une deadline extrêmement optimiste : l’horizon 2020. CTIA, un groupe de lobbying en faveur des technologies sans fil, a organisé mardi dernier un forum de discussion sur la 5G. Le sénateur républicain américain John Thune, qui a présenté un projet de loi relatif au développement des technologies mobiles cette semaine, y a participé. Comme à l’ordinaire, il y a eu beaucoup d’exagérations et de spéculations sur les bénéfices futurs de la technologie ; tant que les gouvernements et les sociétés de télécommunications ne se seront pas accordées sur une définition standard de la 5G, sur une collection de normes et sur un projet de développement commun, nous pourrons toujours pérorer en vain sur le futur visage de la 5G.
Tout le monde s’accorde à dire que le réseau 4G actuel ne pourra bientôt plus répondre à la demande si l’Internet des Objets se développe réellement, et si nous conservons notre habitude de regarder des vidéos haute définition gourmandes en bande passante. Cisco prédit que l’utilisation des données mobile pourrait être multipliée par dix dans les prochaines années, tandis que 50 milliards de nouveaux objets connectés devraient ponctionner les réseaux sans fil. Internet traverse désormais votre grille-pain et vos chaussettes : nous allons avoir besoin d’un plus gros tuyau pour l’acheminer vers l’ensemble des appareils domestiques.
Le trafic du réseau 4G est déjà saturé, c’est pourquoi les opérateurs ont déjà inauguré une politique d’exclusion des plus gros consommateurs. La plupart des téléphones utilisant la 4G fonctionnent en 700-800 megahertz (MHz), avec quelques exceptions (normes LTE) qui peuvent atteindre les 3500 MHz, voire 3,5 gigahertz (GHz). Le réseau 4G continue de se développer (« il y a encore du gaz dans la bouteille », a fait remarquer un participant du forum CTIA), mais bientôt, il sera KO.
Les ondes radio de cette partie du spectre, tout à droite, entre les micro-ondes et la lumière infrarouge, possèdent des longueurs d’onde de 1-10 millimètres (contre des dizaines de centimètres pour les basses fréquences associées à la 4G) ; on les appelle donc « fréquences à ondes millimétriques. »
Plus haute est la fréquence, plus grande est la quantité de données qui peut être transmise par signal ; en théorie les ondes millimétriques permettent d’atteindre des vitesses de transmission de données de l’ordre de 10 gigabits par seconde (Gbps) ou davantage, selon l’expert que vous consultez. Les premiers tests 5G montrent qu’il est d’ores et déjà possible de transmettre des données à une vitesse de 7,5 Gbps. L’industrie des technologies sans fil a évoqué plusieurs scénarios possibles, prédisant que la 5G serait assez rapide pour télécharger un film HD en quelques secondes seulement, contre plusieurs dizaines de minutes aujourd’hui. (Les vitesses 4G actuelles oscillent autour de 5-100 Mbps.)
Ce sont des bonnes nouvelles si vous avez l’habitude de regarder des vidéos de 8K ou de jouer à des jeux interactifs sur votre téléphone, mais la 5G est avant tout promue dans le cadre du développement de l’Internet des Objets. On espère qu’elle permettra de supporter un réseau immense d’appareils tous connectés les uns aux autres, et de réduire la latence à moins d’une milliseconde.
Imaginez un scénario où des capteurs embarqués sur un véhicule pourraient avertir une voiture autonome en temps réel d’un accident venant de se produire sur la route qu’elle est train d’emprunter, tandis que sur le lieu du crash une victime pourrait renseigner son état de santé à une ambulance qui se serait déjà mise en route. Les « smart cities » pourraient régler les problèmes de bouchon en automatisant le flot des véhicules. De plus, réduire la latence au maximum pourrait être une étape clé du développement de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle, participant à diffuser ces technologies auprès d’un large public. (Samsung a d’ailleurs présenté la démo d’un vasque VR sans fil durant l’événement de mardi dernier.)
Il faudra probablement compter sur la bande à très haute fréquence qui est assez peu utilisée jusque là (l’électronique capable d’envoyer et de recevoir des transmissions à ces fréquences n’est pas disponible pour le moment, mais les fabricants travaillent actuellement à rattrape ce retard).
C’est un peu comme découvrir un nouveau continent sur un territoire inexploré. Le spectre radioélectrique est extrêmement précieux : son espace est limité, et la demande est de plus en plus pressante. Une fois que les gouvernements auront décidé de distribuer de nouveaux espaces de ce spectre, on peut s’attendre à ce que ceux-ci soient extrêmement disputés.
Aux Etats-Unis par exemple, le gouvernement réglemente les ondes, autorise (ou non) l’utilisation de certaines fréquences à des entreprises privées, et en réserve d’autres à l’usage public. Il s’ensuit une concurrence féroce pour s’accaparer les fréquences que le gouvernement met aux enchères, tandis que les opérateurs dépensent des milliards pour s’accaparer les bâtiments traversés par les ondes radio à la fréquence désirée. La bande de 700 MHz a été mise aux enchères en 2008 car elle était désormais sous-utilisée par la TV analogique. On la considérait désormais comme « la résidence secondaire » du haut débit sans fil ; à ce titre, elle a suscité un débat passionné sur l’attribution de bande au public. Si de nouvelles fréquences étaient rendues disponibles, ce serait une chance pour les réseaux publics ou pour les petits opérateurs : ils pourraient remporter quelques bandes dans la bataille, même si la part du lion sera sans doute réservée aux grosses entreprises de télécom.
Même s’il reste de la place dans la partie haute du spectre radio, le problème est que plus haute est la fréquence, plus courte est la distance que les ondes peuvent parcourir. Pour cette raison, les signaux 5G ne se pourraient se propager que sur quelques centaines de mètres avant d’être absorbés par les gaz dans l’atmosphère. Les ondes courtes ne peuvent pas passer à travers les murs, le verre des fenêtres. Dans certains cas, elles sont même bloquées par les feuilles des arbres.
Tandis que notre infrastructure 4G est idéale pour couvrir, par exemple, toute une maison, la 5G demanderait une toute nouvelle architecture sans fil, avec des relais tous les 100-200 mètres, des milliers d’antennes et d’émetteurs installés dans toutes les pièces des bâtiments, sur le mobilier, sur les panneaux de signalisation etc. La bonne nouvelle est des fréquences élevées peuvent être transmises par des antennes plus petites ; l’industrie réfléchit donc au développement d’une architecture de « petites cellules » : microcellules, picocellules et femtocellules.
« Les termes beamforming, MIMO, ondes millimétriques, petites cellules feront sans doute bientôt partie du lexique officiel. »
Le développement de la 5G suscite également des recherches sur le « beamforming », une technique de traitement du signal qui consiste à concentrer l’énergie d’un signal dans une certaine direction. Elle permet, par exemple, de fixer une antenne sur un dispositif et de diriger le signal de telle manière à ce qu’il suive un utilisateur dans ses déplacements, contournant les obstacles et les interférences. « Les termes beamforming, MIMO, ondes millimétriques, petites cellules feront sans doute bientôt partie du lexique officiel des technologies sans fil » a déclaré le sénateur Thune.
À cause de toutes ces contraintes physiques, la 5G sera probablement déployée dans les zones densément peuplées en priorité ; les signaux à courte portée auront bien du mal à desservir les zones rurales. À la place, 5G pourrait servir à fournir un accès Internet rapide dans les zones qui n’ont pas accès à la fibre optique. Elle devra alors être compatible avec les bandes de basses et moyennes fréquences des réseaux 4G et 3G. Elle devra également se conformer aux standards de sécurité : les capteurs et les objets connectés sont une mine d’or pour les pirates informatiques.
Développer un standard international pour les technologies sans fil nouvelle génération s’annonce comme une tâche herculéenne. On peine à croire que la deadline de 2020 pourra être respectée. Les pays comptent bien se mettre en valeur en adoptant la dernière fantaisie sans fil avant les autres. Le Japon souhaite faire fonctionner la 5G d’ici 2020 à l’occasion des Jeux Olympiques de Tokyo, tout comme la Corée du Sud, qui espère être prête pour 2018.
Aux États-Unis, la Commission Fédérale des Communications a proposé de rendre les bandes de plus de 24 Ghz accessibles aux téléphones mobiles. Le sénateur Thune a écrit un projet de loi, la Loi sur les appareils mobiles, à ce sujet. À présent, il demande au gouvernement de libérer plusieurs bandes à usage commercial et d’examiner les fréquences à ondes millimétriques pour 5G.
Dans le même temps, le groupe chargé de superviser le développement de la 5G, l’Union internationale des télécommunications (UIT), une branche de l’Organisation des Nations Unies, lorgne le calendrier 2020 et a publié une feuille de route optimiste pour suivre la progression du déploiement. Il a également donné un nom officiel à la nouvelle norme de la technologie sans fil : IMT-2020. Mais quelque chose me dit que l’expression « 5G » restera dans toutes les bouches.